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Document : Rue Amelot

J. Jacoubovitch

Traduit du yiddish par Gabrielle Jacoubovitch-Bouhana

Chapître III - Rue Amelot et le Comité de Coordination

La création du célèbre Comité de Coordination et, plus tard de l'UGIF, conduisit "Rue Amelot" à prendre une nette décision de résistance. Il y eut de chaudes discussions, et d'importantes modifications dans sa constitution en résultèrent.

Les allemands veulent un Judenrat - Nous savions dès le 1er septembre 1940 que les Allemands voulaient créer, en France, un Judenrat. En effet, à son retour à Paris après un entretien avec le grand rabbin Julien Weill, Rappoport nous l'avait annoncé. Un jeune officier SS, l'Obersturmführer Dannecker voulait exiger du Consistoire de Paris (le Consistoire central ayant été évacué), qu'il se reconnaisse comme étant le représentant officiel de la population juive. Tous devaient y adhérer. Le Consistoire devrait cautionner et porter la responsabilité de toutes les activit.és politiques, culturelles et sociales. L'officier motivait. cette structure par différentes raisons. La puissance occupante était dans l'obligation, question de principe, de couper la population juive du reste de la population française, Le Consistoire devait remplir le rôle de "guide responsable", En raison de cette coupure, les indigents ne pourront plus bénéficier de leur statut et se verront refuser les secours des organismes français. Ce rôle incomberait aux seules organisations juives.

Ce plan paraissait logique et approprié à la situation dans laquelle allait se trouver la population juive, Cependant il était clair qu'il fallait être très prudent et ne pas accepter de mettre en jeu la responsabilité d'un nombre restreint de personnes. Rappoport et Jacoubovich ont demandé au grand rabbin de garder le contact avec "Rue Amelot" et ont mis le comité au courant de ce décret. La situation était la suivante: le Consistoire fonctionnait avec le grand rabbin Julien Weill, Marcel Sachs et Alphonse Weill (aucun autre membre du Consistoire n'était, me semble-t-il, alors à Paris). Ils nous ont assuré avoir déclaré à Dannecker qu'ils ne pouvaient accepter cette mission. Elle était en contradiction avec la juridiction française qui n'autorisait le Consistoire qu'à s'occuper de questions religieuses, Dannecker n'a pas pris cet argument en considération. Tout en menaçant de représailles la population juive, il a imposé le rabbin Julien Weill et Marcel Sachs en tant que représentants de la population juive. Il leur intima l'ordre de rester personnellement en contact avec lui. Par la suite, n'étant pas satisfait de la collaboration du "vieux" rabbin, Dannecker nomma Marcel Sachs chef de l'ensemble des Juifs de France. Celui-ci déclara que, n'étant qu'un simple employé, il ne pouvait remplir ce rôle de "chef',

Une section juive avait été créée à la préfecture, sur ordre de l'occupant. Les statuts étaient en cours d'établissement. Cette commission devait avoir de très larges pouvoirs. Elle comportait différentes sections spécialisées - véritables ministères - sur les questions politiques, sociales et religieuses agissant selon des principes autoritaires.

Ne pouvant rompre catégoriquement avec Dannecker, le Consistoire cherchait à se retirer de ce projet sous différents prétextes. Le principal argument était qu'il n'avait pas la possibilité d'influencer la population. Seul un décret français, ou une ordonnance de l'armée d'occupation pouvaient créer un organisme pour les questions juives. Vraisemblablement, Dannecker n'a pu obtenir une telle ordonnance de ses chefs militaires. Il a essayé par tous les moyens de faire en sorte que cet organisme soit créé par les Juifs eux-mêmes, de leur propre volonté. Il y a eu un véritable réseau d'intrigues autour de ce projet.

Rue Amelot reste en dehors du projet - Notre comité se demandait s'il devait prendre part aux négociations avec Dannecker et partager la responsabilité du Consistoire. Les avis étaient partagés et de fortes discussions s'ensuivirent. Les représentants des cantines du Bund, et de Poale sion de gauche se sont déclarés nettement contre. On n'arriva à aucun accord, Ce fut avec une majorité d'une voix que l'assemblée décida d'être solidaire avec le Consistoire. Cette majorité fut déclarée trop restreinte pour une question aussi capitale. On décida, donc, de rester en contact avec le Consistoire, dans l'attente de plus amples développements. Une délégation composée de Glaeser, Rappoport et Jacoubovitch fut créée. Elle informa le Consistoire des importantes oppositions au sein de notre comité.

Contre le Judenrat - Dannecker ne put arriver à ses fins en se servant du Consistoire. Il convoqua toute une série de personnalités et essaya avec son habituelle hypocrisie, de les convaincre de créer le Judenrat. L'une d'entre elles demanda conseil à "Rue Amelot". Il s'agissait du docteur Richemond, président de l'union des Juifs de Pologne. Recevant une réponse dissuasive il trouva un prétexte pour se sortir du projet. Très certainement, toutes les autres personnes contactées par Dannecker ont dû agir de même. Il s'est à nouveau tourné vers le Consistoire. Ce dernier, qui comptait un plus grand nombre de membres, continua à affirmer qu'il n'était pas habilité à influencer la totalité de la population juive.

Dannecker exigea alors qu'il organise une réunion avec des personnalités influentes. Le Consistoire était chargé de convaincre tout le monde de l'intérêt pour la population juive, de la création du Judenrat. L'assemblée fut convoquée le 30 novembre. Seules s'y sont rendu un nombre restreint de personnes, faisant toute partie du Consistoire, pour la plupart des fonctionnaires. Notre comité pour sa part avait décidé de boycotter la réunion, de même que le cercle des émigrés à part maître Rabinovitch. Sa présence avait été requise par le Consistoire en raison de sa connaissance des lois allemandes. Il était chargé de faire un exposé démontrant qu'elles ne pouvaient être assimilées aux lois françaises. Cette réunion n'eut aucun résultat.

Vers un Comité de Coordination - Ne pouvant obtenir la création volontaire du Judenrat, Dannecker abandonna son projet, C'est vraisemblablement à partir de ce moment qu'il devint (soi-disant) partisan d'une organisation rationnelle des secours à porter à la population juive. Il autorisa le Consistoire à effectuer une quête, qui rapporta 335 000 F. Il exigea, cependant, que cette somme soit remise entre les mains du Comité de bienfaisance de la rue Rodier. Il devait s'occuper seul de la totalité de l'aide à la population juive. Le comité trouva des arguments pour échapper à cette responsabilité. Pendant toute cette période les liens se sont resserrés entre "Rue Amelot" et le Consistoire. Le Comité de bienfaisance et le Consistoire appréciaient considérablement les méthodes employées par "Rue Amelot" dans ses actions de secours, Ils émirent le vœu de relations plus étroites. Cela aboutit à la lettre suivante, adressée par M. Sachs le 20 janvier 1941, à notre comité :

Invitation à créer un Comité de Coordination -

« A l'attention de Monsieur Jacoubovitch
Secrétaire général des Institutions réunies, 36, Rue Amelot-Paris »

« Cher Monsieur, »

« Comme vous le savez, le comité de bienfaisance de la rue Rodier a rouvert ses portes. Nous souhaitons que cela soit accompagné d'une modernisation de nos services afin d'augmenter, dans la situation actuelle, le potentiel d'aide à la population juive. »

« Dans ce but nous avons décidé de créer quatre divisions: Place des Vosges, rue Julien Lacroix, rue Vauquelin et rue de la Durance. Dans chaque division se trouvera une assistante sociale sous l'égide d'un directeur général. Ce dernier aura les pleins pouvoirs pour personnaliser ses activités car nous sommes persuadés que la protection sociale doit être la base de notre activité. »

« Il serait souhaitable que ces sections aient des consultations médicales pour nourrissons et enfants, ainsi qu'un centre de dépistage permettant de diriger les malades vers des centres adaptés à leur cas. Nous souhaitons également ouvrir dans ces centres des ouvroirs et des consultations juridiques. Comme vous le voyez l'organisation de nos services est similaire à la vôtre. Nous pensons donc que nos efforts devraient être conjugués et qu'une entière coordination permette aux uns et aux autres d'obtenir le maximum de résultats pour soulager les besoins de nos coreligionnaires. Nous sommes également arrivés à la conclusion qu'il serait nécessaire que les dirigeants de nos organisations puissent confronter leurs problèmes au cours de fréquentes réunions. Nous pourrions ainsi trouver la meilleure des solutions possible, Je vous demande, donc, s'il ne serait pas possible que les institutions regroupées autour de la Colonie Scolaire se rapprochent de nous et délèguent chacune deux représentants dans un Comité de Coordination qui aurait pleins pouvoirs décisionnaires, Je suis convaincu que nous trouverons une entente au sujet du fonctionnement de ce comité et ne doute pas que vos amis et vous-même accepterez cette proposition qui sera des plus efficaces. »

« Une organisation centrale dans laquelle chacun gardera sa propre autonomie et son indépendance, ce qui garantira le bon fonctionnement de chaque institution. Je vous serais obligé de me faire connaître rapidement votre opinion, ce dont je vous remercie par avance. »

Démarrage du Comité de Coordination - Cette proposition, qui donna cours à d'âpres discussions, fut finalement acceptée par sept voix contre quatre. Mais à la seule condition que "Rue Amelot" ne devienne pas majoritaire. Le Comité de Coordination en plus de "Rue Amelot" comprenait : le Comité de bienfaisance, l'asile de jour et de nuit et L'OSE. Chaque organisation avait un représentant, notre comité en avait deux : Glaeser et Jacoubovitch. Rappoport assista également aux réunions en tant que remplaçant d'un des délégués. M. Sachs fut nommé secrétaire général. La première réunion eut lieu le 30 janvier 1941 et le 6 février, les règlements suivants furent accepté à l'unanimité :

Un Comité de Coordination de l'aide aux Juifs est créé.

Ce comité constitué de six membres maximum comprend des représentants de toutes les associations adhérentes. Certains membres pourront représenter plusieurs institutions, chacune conservant cependant son indépendance. Le Comité de Coordination supervisera toutes les activités pour éviter que la même action soit menée en double. Il gère son propre budget (nous avons bien précisé qu'en aucun cas il ne pourrait se mêler de la gestion propre à chaque institution). Il assurera la centralisation de l'aide aux intellectuels*, aux immigrants et, en général, à tous ceux dont s'occupent les institutions. Il pourra, cependant, désigner certaines d'entres elles pour s'occuper plus particulièrement de certains cas pour lesquels elles ont montré leur efficacité ou leur expérience. Il coordonnera le plus étroitement possible le travail entre les différents services d'aide sociale. Il nommera une assistante en chef dont le salaire sera pris en charge par tous les adhérents. Elle sera également la secrétaire du comité. Le siège sera situé au 17, rue Saint-Georges et sera ainsi proche du secrétaire général. Le comité se réunira périodiquement. Les institutions recevront au moins une fois par an un compte rendu d'activités. Il désignera à la tête de chaque section un membre d'une des institutions représentées. Chaque décision sera prise à l'unanimité. ..

* Ndt.: les intellectuels n'avaient pas le droit d'exercer leur profession.

Dannecker découvre ses cartes - L'activité du Comité démarra dans la bonne entente générale. Dans la plupart des cas concernant le Comité de bienfaisance et "Rue Amelot", nous arrivions à un accord. Nous en étions déjà à l'élargissement de nos activités, à commencer par les dispensaires, Le docteur Minkowski avait pleins pouvoirs pour coordonner leurs activités, C'est alors que Dannecker commença ses attaques. Il exigea du Comité de bienfaisance qu'il conserve un double du fichier de la population juive. Il avait été créé par la Préfecture à partir de l'enregistrement effectué en octobre 1940. Par ailleurs, il notifia au Consistoire qu'il n'était autorisé à remettre l'argent de la collecte au Comité de Coordination que contre l'engagement suivant, signé par tous ses membres

« Je soussigné…… »
« Né le……à …… »
« adresse…… »
« représentant/Secrétaire-général de l'organisation…… »
« déclare par la présente que cette oeuvre participera au travail commun des institutions juives à Paris et, en tant que représentant/secrétaire général, je m'engage sur ma personne à suivre les directives du secrétaire général de l'organisation centrale juive qui est, à ce jour, M. le Rabbin Sachs. Sachant que le plein succès du travail dépend d'une parfaite coordination, je m'engage sur ma personne à remplir cette obligation et celles à venir. »

Il a en outre exigé que le Rabbin Marcel Sachs[3], ne soit plus secrétaire général (poste trop démocratique), mais président. Comme d'habitude Dannecker accompagna ses exigences de menaces. Il démontra immédiatement en quoi elles consistaient: le secrétaire général du Comité de bienfaisance, M. Franck âgé de 78 ans fut accusé de ne pas avoir répondu avec suffisamment de courtoisie à la demande de prendre la copie du fichier de la population juive. Il fut arrêté sur place dans le bureau de Dannecker et condamné à deux semaines d'internement à la prison de la Santé.

La colonie scolaire décide de ne pas signer l’engagement - Il n'y eut aucune controverse à ce sujet au sein de "Rue Amelot". Tout le monde était d'accord pour ne pas signer l'engagement. Cependant, notre comité n'apparaissait pas comme membre du Comité de Coordination, il était masqué par la Colonie Scolaire. Seuls les membres de la Colonie Scolaire étaient donc menacés par le refus de signature. On les laissa libre de prendre leur décision. Le comité de la Colonie Scolaire, composé à l'époque d'une dizaine de personnes, après un court échange de vue, décida de rejeter la proposition des SS. Cette décision fut immédiatement transmise à Marcel Sachs, A la joie générale il n'y eut aucune retombée tragique. Vraisemblablement, à cette époque, les SS préféraient réaliser leurs plans par des moyens pacifiques et, comme nous allons le voir, avec le concours de collaborateurs juifs.

Collaborateurs juifs des SS - Vers le 25 mars 1941, Dannecker fit venir à Paris deux Juifs autrichiens: Israëlovitch et Biberstein qu'il nomma conseillers auprès du Comité de Coordination et agents de liaison auprès des SS. Le 27 mars eut lieu une réunion du Comité de Coordination à laquelle Glaeser et Rappoport prirent part au nom de "Rue Amelot". Les deux agents juifs présents se sont efforcés à grand renfort d'arguments et d'insinuations menaçantes, de convaincre les membres du Comité de Coordination de la nécessité de signer l'engagement exigé par les SS.

La situation des membres du Comité de Coordination était très difficile, Pour la première fois depuis le début des activités sous l'Occupation, ils devaient discuter en présence de représentants officiels des Allemands.

La situation était des plus graves et ils devaient être prudents dans leurs paroles. Ils ne pouvaient se concerter. Après une longue discussion, ils décidèrent de ratifier le texte suivant, plus atténué: "Nous nommons ce jour, M. le Rabbin Marcel Sachs président du Comité de Coordination des Œuvres de bienfaisance. Nous engageons à respecter les instructions que lui auront transmis les occupants dans le cadre de son rôle de responsable du Comité."

Cette déclaration pour les délégués devait être établie en leur nom et non en celui des institutions qu'ils représentaient. En pratique cette déclaration, pour les délégués n'eut aucun sens car peu de temps après le Comité de Coordination n'existait plus que sur le papier. MM. Israelovitch et Biberstein négociaient en son nom sans consulter qui que ce soit,

Agissement frauduleux en faveur du Judenrat - Le 1er avril 1941, ils déposaient de nouveaux statuts selon lesquels le Comité de Coordination recevrait de plus amples attributions. Juste après le 18 avril fut créé le journal officiel du Comité de Coordination : L'information juive.

Il publiait un impérieux appel à la solidarité de la population juive d'une part et d'autre part, l'obligation d'adhérer au Comité de Coordination avec menaces, en cas de désobéissance. Les agents juifs tentaient ainsi de transformer le Comité de Coordination en Judenrat. Les délégués des organisations n'étaient même pas au courant des nouveaux statuts ni des informations publiées. Il était précisé que les inscriptions devaient se faire dans les locaux des différentes associations membres, sans leur avoir demandé leur accord.

"Rue Amelot" obtint que son adresse n'apparaisse plus dans les numéros suivants. La vérité sur ce qui se tramait au nom du Comité de Coordination fut dite à tous ceux qui vinrent se faire inscrire dans les locaux de notre comité. Tous les membres des organisations réunies au sein de "Rue Amelot" en firent de même à travers toute la ville. Par le biais d'un appel spécial et sa diffusion aux milliers de personnes fréquentant les cantines populaires les recommandations de notre comité furent rapidement propagées à travers la ville. Le plan de Dannecker fut réduit à néant, un tout petit nombre de personnes s'étant fait inscrire.

A la suite d'une convocation, une réunion du Comité de bienfaisance eut lieu le 20 avril 1941. Les délégués de "Rue Amelot" se sont violemment élevés contre la façon d'agir des SS. Avec insolence ils rétorquèrent qu'ils s'agissaient pour le plus grand bien de la population juive: les délégués des organisations ne connaissaient pas encore l'étendue de la menace allemande et mettaient eux en péril l'existence des Juifs en France.

Les délégués exigèrent que le compte rendu de cette séance mentionne que le journal avait paru sans qu'ils en soient informés. Ce protocole, daté du 17 avril en parle en termes édulcorés:

Constatant à l'unanimité que la publication du journal et son contenu ne figurent pas à l'ordre et se trouvant devant un fait accompli, les délégués du Comité de Coordination ne prennent pas en considération la communication du président.

Réactions contre la propagande de Rue Amelot - Dannecker et Israelovitch ne pouvaient accepter la défaite et se sentaient offensés. Ils ont probablement eu vent de la prise de position de "Rue Amelot" au sujet du Comité de Coordination. Ils ont, cependant, une fois encore réagi faiblement. Rappoport fut convoqué chez Dannecker et Jacoubovitch chez Israelovitch. Dannecker attaqua dur et fort: sur un ton extrêmement sévère, il adressa une mise en garde à Rappoport, ne le laissant pas placer un mot. II lui ordonna de signer la déclaration suivante: "Sous peine de pourrir en prison jusqu'à ma mort, je prends en considération l'injonction du lieutenant Obersturmführer Dannecker d'avoir à cesser toute activité auprès de toute organisation."

Israelovitch, lui, dialogua en yiddish. Il informa Jacoubovitch qu'il savait que notre comité menait une campagne contre le Comité de Coordination. Ce dernier le nia. Israelovich demanda ensuite à Jacoubovitch de l'accompagner à la synagogue de la rue Pavée où se tenait une réunion. Il devait publiquement récuser cette accusation. Kruber avait déjà à cette époque un rôle au sein du Comité de Coordination. Apprenant dans la synagogue la raison de la présence de .Jacoubovitch, accompagné d'un groupe d'amis, il intervint personnellement auprès d'Israelovitch pour qu'il renonce à son accusation. On ne parla plus de l'affaire.

Démission du Comité de Coordination - La réaction de notre comité face à la tournure que prenait le Comité de Coordination ne s'est pas arrêtée à ce qui précède. Devant cette situation, Dannecker donnant des ordres aux comités de coordination, les deux organisations syndicalistes exigèrent que "Rue Amelot" démissionne. De toute façon, depuis la réunion du 27 mars qui s'était déroulée en présence d'Israelovitch et de Biberstein, cette décision était évidente pour tous les membres de notre comité.

Rappoport voulait obtenir que toutes les organisations démissionnent en même temps. Il a donc demandé de retarder la démission officielle. Cette proposition a été acceptée à condition que, dès à présent, "Rue Amelot" s'abstienne d'assister aux réunions officielles. Le plan de Rappoport n'a pu se réaliser et en mai nous décidions de procéder à la démission de notre comité [4]. On trouva un prétexte pour la motiver afin de préserver la sécurité des responsables de la Colonie Scolaire et des délégués de "Rue Amelot". Le 12 mai 1941, deux lettres furent transmises au Comité de Coordination: une copie de la lettre de Glaeser à la Colonie Scolaire et une de Jacoubovitch au Comité de Coordination.

Glaeser écrivait à la Colonie Scolaire:

"Lorsque, au mois de janvier dernier, je vous ai proposé l'incorporation du dispensaire de la Colonie Scolaire au sein du Comité de Coordination, je vous avais fait remarquer que je n'étais pas membre du Comité, ni même simple adhérent. J'ai toujours été très intéressé par votre activité mais je n'ai jamais pu la suivre de près. De ce fait, je ne suis pas apte à vous représenter.
Si j'ai quand même accepté de le faire, c'était à condition que ce ne le soit que pour une courte durée. Et, réellement, il me devient de plus en plus difficile d'accomplir mon mandat pour différentes raisons. En s'accumulant elles empiètent sur ma vie privée, ne serait-ce que parce qu'il me faut rester en contact permanent avec vous afin de pouvoir à tout moment:
1. donner des rapports sur votre activité au Comité de Coordination
2. pouvoir prendre part utilement à vos débats
3. engager votre responsabilité en remplissant mon mandat, en plus de tout ce que je fais,
J'ai déjà eu l'occasion, au cours de réunions du Comité de Coordination, de préciser que je ne me reconnais pas être à même de négocier en votre nom. Je ne suis qu'imparfaitement renseigné sur vos possibilités et vos perspectives. Je n'ai pas le temps de discuter à l'avance avec vous de tous les problèmes intéressant directement votre institution. Je pense que cette situation ne peut plus durer et je vous demande, donc, d'accepter ma démission de délégué de votre organisation auprès du Comité de Coordination."

Jacoubovitch écrivait de son côté au Comité de Coordination:

Monsieur le Président
Nous vous transmettons, par la présente, la copie de la lettre de démission que nous a adressé notre ami, Monsieur Glaezer. Les motifs de sa démission sont nets et ne donnent lieu à aucune discussion. Il nous donne encore une fois la possibilité de remettre en question notre participation au Comité de Coordination. Lorsque, il y a 4 mois, nous nous sommes regroupés avec nos organisations autour de Monsieur Sachs, notre activité justifiait notre participation. Mais depuis, nous faisons des efforts ,inutiles pour maintenir notre organisation en activité. Nos moyens financiers sont absolument inexistants. Désormais, il nous sera impossible de remplir notre rôle au Comité de Coordination. Si, de plus, vous vouliez bien prendre en considération que nous n'avons pratiquement plus de personnel administratif, vous conviendrez avec nous que notre représentation auprès du Comité de Coordination ne se justifie plus. "

Nous espérions, grâce à ce stratagème pouvoir nous retirer avec des moyens pacifiques du Comité de Coordination.

Jacoubovitch remit ce courrier à Alphonse Weill (Sachs étant malade, la présidence du Comité de Coordination lui avait été confiée), en présence d'Israelovitch. Jacoubovittch leur apprit la véritable raison de la démission: elle leur était, naturellement, déjà connue. Ils étaient même d'accord pour l'officialiser. Cependant, quelques jours plus tard, Weill fut arrêté. Il n'y eut plus jamais de réunion normale du Comité de Coordination. D'importants changements dans la structure du Comité de Coordination allaient intervenir, Bien plus tard, Israelovitch avoua ne pas avoir enregistré la démission de la Colonie Scolaire pour épargner la vie de ses représentants.

Rupture des relations - Il est probable que si les SS n'ont pas pris de sanctions contre "Rue Amelot" c'est parce qu'il espéraient encore berner ses dirigeants et réussir à les faire collaborer à un Judenrat. Par la suite, il devint évident qu'ils voulaient en priorité obtenir la collaboration des Juifs étrangers pour gagner leur confiance et leur faire supporter en premier les persécutions.

Finalement, Dannecker comprit qu'il avait échoué dans son projet de réaliser un Judenrat avec les Juifs de France en se servant de la complicité des agents autrichiens. Il a essayé, une fois encore, d'exercer une forte pression sur le Consistoire. Il a exigé avec, à l'appui, de fortes menaces, des changements importants dans la structure du Comité de Coordination. Il suivait le système élaboré par le bureau de la section juive à la Préfecture. Il devait être constitué pour moitié de Juifs français et pour moitié de Juifs étrangers. Alphonse Weill, qui était chargé de l'exécution de ce projet, souhaitait que Glaeser et Jacoubovitch fassent partie du nouveau comité.

Sitôt informé, Glaeser fit savoir que cela mettrait en danger la vie des membres de "Rue Amelot", aucun d'eux n'acceptant de travailler dans ce comité. Alphonse Weill comprit cet argument et aucun membre de "Rue Amelot" n'entra dans le comité.

Peu de temps après Alphonse Weill fut arrêté par Dannecker. Le 14 juin 1941 eut lieu une réunion du Comité de Coordination dans son ancienne composition; Baur et Kruber prenaient part, pour la première fois, aux débats d'un comité déjà pratiquement inexistant. Pour le compte de "Rue Amelot", Jacoubovitch avait été seul convoqué téléphoniquement en l'informant que son absence risquait de lui créer de graves ennuis. Israelovitch annonça au cours de cette réunion, que dans les prochains jours aurait lieu une assemblée réunissant un certain nombre de personnalités juives. C'était pour constituer un nouveau Comité de Coordination. Il fallait dès maintenant établir la liste des candidats. Dannecker assisterait à cette assemblée. Jacoubovitch précisa qu'il n'était venu que pour confirmer la démission de notre comité et qu'aucun représentant ne prendrait part à la nouvelle assemblée. En retour, il y eut de très fortes menaces de la part d'Israelovitch et de Kruber. Rien n'y fit. Aucun membre de "Rue Amelot" n'assista à la réunion qui s'est tenue le 17 juin et plus aucun membre de notre comité ne figura dans le nouveau bureau du Comité de Coordination qui, entre parenthèses, ne fut constitué que plus tard. Ainsi, tous les liens entre les deux organisations avaient été rompus.

Refus de fournir des compte-rendus - "Rue Amelot" ne pouvait toutefois ignorer totalement l'existence du Comité de Coordination. Celui-ci devait, pour le compte des SS, contrôler la totalité des activités bienfaisance des organisations juives. Dannecker voulait qu'elle soient la propriété du Comité de Coordination. Il ne pouvait vraisemblablement pas en assurer le financement. Notre comité ne voulait absolument pas accepter ce contrôle. Kruber, secrétaire général du nouveau Comité de Coordination a donc exigé que les cantines du Comité "Amelot" lui remettent des rapports précis sur leurs activités. Notre comité s'y est catégoriquement refusé. Peu après Kruber a été évincé et M. Danon, nommé au poste d'économe avec obligation de fournir aux SS ces mêmes rapports. Lors d'une entrevue que nous avons eue, M. Danon nous suggéra que lui soit communiqué seulement le nombre des repas fournis par jour. Cette suggestion fut acceptée et suivie.

Rassemblement de travailleurs volontaires - Le 18 août 1941 le bureau de Dannecker exigea, téléphoniquement que Jacoubovitch se rende immédiatement auprès de l'Obersturmführer. Par chance, étant absent, il lui fut épargné de voir la "gueule" de l'ennemi du peuple d'Israël. A l'heure du déjeuner, il reçut un appel téléphonique de Stora, secrétaire général du moment du Comité de Coordination, l'avertissant que le même après-midi aurait lieu une réunion, non pas du Comité de Coordination mais de représentants des organisations juives au sujet d'un projet concernant le devenir de toute la population. Jacoubovitch se rendit à cette réunion. Les deux agents SS y participaient également. En présence des deux agents, les représentants du Comité de Coordination l'informèrent qu'ils avaient été convoqués le matin par Dannecker. Ce dernier exigeait qu'ils réunissent 6 000 Juifs vraisemblablement pour travailler la terre pour le compte d'une firme allemande. Cette société avait entrepris un travail de colonisation. Le Comité de Coordination rétorqua qu'il n'avait pas les moyens d'influencer la population juive. Dannecker se mit fort en colère. Il rappela qu'après l'arrestation, en mai, des Juifs polonais, deux d'entre eux avaient informé Israelovitch qu'ils seraient à même de rassembler 20 000 volontaires si les Allemands stoppaient leurs arrestations.

Les responsables du Comité de Coordination ont à nouveau répété que cela n'était pas réalisable. Dannecker les a retenus dans son bureau et leur a ordonné de contacter téléphoniquement les représentants de toutes les institutions. Ceux-ci devraient sur le champ s'engager à réunir le nombre de travailleurs requis. Les personnes concernées étant toutes absentes de leur bureau, Dannecker donna l'ordre d'organiser cette réunion sous peine de sérieuses représailles. Tout le monde devait s'engager, par écrit, à réunir le nombre imposé de travailleurs. De son côté, l'occupant allemand s'engageait à ne plus interner de Juifs.

Au cours de l'échange de vues qui suivit, Jacoubovitch a formellement déclaré que son institution ne prendra pas une telle responsabilité et il a demandé à tous d'en faire de même, Cette intervention a étéinscrite comme suit, dans le protocole rédigé par Dannecker : "Monsieur Jacoubovitch déclare qu'il est regrettable qu'une personne qui exprime ses opinions personnelles et qui n'a aucune responsabilité puisse donner l'impression qu'il s'agit d'un projet réalisable. " Personne n'a signé l'engagement exigé par Dannecker. L'arrestation des Juifs du ne arrondissement eut lieu deux jours plus tard le 20 août 1941. Ils furent transférés à Drancy. A cette époque, nombreux étaient ceux qui pensaient que ces arrestations auraient pu être évitées si l'on avait donné suite au projet de fournir 6 000 travailleurs. Mais on sait aujourd'hui qu'aucune politique opportuniste n'aurait donné de résultats.

La position de Rue Amelot vis-àvis de l’UGIF - En janvier 1941, on apprit que Xavier Vallat commissaire aux questionsjuives, envisageait de créer une Union des Juifs de France (connu plus tard sous l'abréviation UGIF). Elle serait propriétaire de toutes les institutions juives. Notre comité a immédiatement avisé le Comité de Coordination qu'il n'avait pas l'intention d'accepter ce décret, Baur et Stora ont répondu qu'ils s'emploieraient à éviter que les biens des institutions formant la "Rue Amelot" soient saisis sans l'accord de leurs dirigeants. Ils ont tenu parole.

Le Journal Officiel publia le décret sur l'UGIF André Baur convoqua chez lui des représentants de toutes les institutions juives, Il leur proposa de travailler de concert avec l'UGIF. Il précisa que les responsables ne se mêleraient pas des activités particulières à chacune. Rappoport et Jacoubovitch représentaient notre comité.

Rappoport, au cours d'une violente intervention, s'est fortement élevé contre cette façon de faire des dirigeants du Comité de Coordination. Il les a accusé de tenter de créer, légalement, un Judenrat pour sortir de la situation "pourrie" où ils se trouvaient. Il utilisa des propos très sévères pour qualifier leur attitude. Il précisa que notre comité ne collaborerait plus avec eux.

Rue Amelot influence l’UGIF - Il n'est pas exagéré de dire que l'attitude d'opposition de notre comité a impressionné les dirigeants du Comité de Coordination et de L'UGIF. Ils considéraient notre organisation comme un élément important avec lequel il fallait compter. Par la suite, dans des situations rendues difficiles par les exigences des SS, ils trouvaient des prétextes pour en atténuer les effets. Ces exigences auraient pu avoir de très lourdes conséquences sur le moral et le physique de la population juive. Nul doute que c'est la prise de position nette de "Rue Amelot" au sujet de la fourniture des 6 000 travailleurs qui leur a donné le courage de s'opposer à Dannecker. Sans cette attitude de notre comité, le Comité de Coordination n'aurait certainement pas été capable de s'opposer à la forte pression des SS en vue d'obtenir un Judenrat "volontaire". Ce dernier aurait été nettement plus néfaste que l'UGIF.

Le 15 juillet 1942, l'UGIF reçoit l'injonction d'avoir à assurer le maintien de l'ordre et la surveillance sociale au Vélodrome d'hiver. On devait y amener des milliers de Juifs au cours d'une rafle massive le 16 juillet. Les dirigeants de l'UGIF ont commencé par prendre cette tâche au sérieux. Ils ont entrepris la mobilisation d'un certain nombre de jeunes et de médecins.

Un membre de notre comité attira leur attention sur les conséquences morales d'une telle action. A la dernière minute, ils ont renoncé à cette responsabilité.

Relations avec l’UGIF - "Rue Amelot" - et les associations qui la composaient - ne pouvaient en fait ignorer totalement l'UGIF et son activité en tant qu'institution juive : elle avait une grande activité parallèle de bienfaisance. Notre comité ne pouvait éviter une concertation avec l'UGIF sur toute une série de problèmes. Ne serait-ce que pour l'aide apportée dans les camps et aux déportés. Dans la plupart des cas elle devait passer par le canal de l'UGIF, bien que distribuée sous la responsabilité du dispensaire La mère et l'enfant. De plus, un certain nombre de nécessiteux recevaient une aide complémentaire de notre comité. Bien souvent les stricts barèmes de l'UGIF étaient insuffisants. Il fallait également s'entendre avec l'UGIF au sujet de la protection des enfants.

L'UGIF avait décrété qu'elle s'occupait seule de la distribution des repas gratuits. Cependant elle ne possédait qu'une seule cantine populaire, celle de la rue de Bienfaisance et ne pouvait faire face à la demande. Un grand nombre d'assistés souhaitaient se nourrir dans celle de "Rue Amelot". Un accord a été conclu entre nos deux associations pour que nous puissions accepter les tickets gratuits et ensuite nous faire rembourser le prix convenu.

Cependant, ni "Rue Amelot", ni les institutions la composant n'ont remis des rapports d'activité à l'UGIF. Nous sommes restés libres et sans attaches.

Malgré toutes nos critiques envers l'UGIF nous sommes parvenus, en 1943, à une meilleure entente entre les deux organisations.

A cette époque nous parvenaient d'énormes quantités de demandes d'aide pour les évadés et les Juifs cachés que nous ne pouvions toutes satisfaire. Il n'était pas possible de les refuser. Ceux qui s'adressaient à nous n'avaient pas confiance en l'UGIF et, surtout, ne voulaient pas s'en faire connaître. Nous sommes parvenus à un accord: l'UGIF versait à notre comité certaines aides que nous redistribuions ensuite, Rappoport et Jacoubovitch prirent cette décision au cours d'une période particulièrement critique. De plus ils savaient que la plus grande partie des revenus de l'UGIF provenait de l'argent versé par les organisations. L'UGIF créa son propre service d'aide à l'enfance. La direction en fut confiée à Mmes Getting et Stern. Notre propre service travailla en étroite collaboration avec elles. Nous avons pu avoir ainsi des échanges d'informations et une meilleure surveillance des enfants.


[3] Voir lettre du Consistoire.

[4] La démission de Rappoport n'était pas nécessaire, Dannecker lui ayant déjà intimé l'ordre de cesser toute activité sociale.


Chapîtres suivants : Chapître IV - Modification dans la structure de Rue Amelot - Chapître V - L’activité de bienfaisance de rue Amelot

Sommaire - Introduction - I Les bases du Comité "Rue Amelot" - II La "Rue Amelot" résiste - III Rue Amelot et le Comité de Coordination - IV Modification dans la structure de Rue Amelot - V L’activité de bienfaisance de rue Amelot - VI Le sauvetage des enfants - VII L’aide des non juifs - VIII De l'arrestation de Rappoport à la libération de Jakub Byl - Lexique Noms des personnes - Lexique Organisations et évènements - Iconographie

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