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Mars 1969 - Bulletin n° 29 - Les Amis de la Maison d'enfants de Sèvres

LA MISSION DES «AMIS DE LA MAISON D'ENFANTS DE SÈVRES»

Éléments du bilan de vingt-sept ans d'expériences

(Introduction de Roger Hagnauer)

On peut s'étonner de notre exceptionnelle irrégularité dans la publication de notre bulletin. On peut même nous reprocher une carence inadmissible dans l'administration d'une société dont les membres doivent être informés périodiquement de la vie intérieure du groupe et de l'activité de leurs mandataires. Sans doute le bureau adresse t-il aux adhérents des circulaires sur ses initiatives, qui justifient souvent ses appels à une participation financière supplémentaire. Sans doute l'Assemblée Générale qui se tient chaque année est-elle appelée à se prononcer sur le rapport moral et le compte rendu financier, à renouveler partiellement le Conseil d'administration. Sans doute chacun peut-il apprécier toutes les manifestations de notre Société. Est-ce suffisant? On peut en débattre.

C'est que notre Société ne vit que pour et par la Maison. Et que même ses interventions « marginales » sont provoquées par les besoins de la collectivité qui s'est formée dans la Maison et dont l'œuvre se prolonge par-delà plusieurs générations d'anciens. Tous nos amis le comprennent. Et s'ils ne critiquent pas les activités et les initiatives engagées en leur nom, ce n'est pas par ignorance de leurs droits, c'est au contraire par conscience de leurs responsabilités. Ils savent que si la Maison a survécu, si son rayonnement s'étend toujours, si son esprit demeure à travers les épreuves, les changements, les accidents, c'est parce que la Société des Amis renforce les arcs boutants qui soutiennent la nef, dont la consolidation témoigne de leur confiance et de leur constance.

L'édification par l'action

Mais ce qu'il faut encore préciser, c'est que notre bulletin ne peut être assimilé à un organe intérieur, administratif et officiel. Parmi les buts formulés dans nos statuts, ce qui est essentiel, c'est la diffusion des expériences accomplies dans la Maison. La Société s'y emploie par les séances pédagogiques annuelles. L'intérêt de celles-ci n'est pas discutable. Cependant, il est difficile d'obtenir par ce moyen une audience correspondant à la somme de travail nécessaire pour aboutir à ces présentations de fin d'année scolaire. Le public que nous appelons n'est sans doute pas indifférent. Encore faut-il qu'il soit touché et que son attention ne soit pas trop dispersée et son emploi du temps trop lourd en cette période fiévreuse qui précède les vacances scolaires. Il faut des documents qui durent, dont la diffusion n'est pas strictement limitée dans l'espace et dans le temps. Notre bulletin reste le seul instrument de cette édification à longue portée. Ce que l'on peut nous reprocher, avec raison, c'est son insuffisance. On le voudrait plus fréquent, plus dense, mieux nourri par tout ce qui est tenté et réalisé en la Maison, propre non à dégager des conclusions mais à ouvrir et alimenter des discussions.

Seulement, ce n'est pas simple communication de travaux entrepris et de résultats obtenus. Ici la façon de donner vaut encore plus que ce que l'on donne. C'est-à-dire que les artisans sont seuls capables d'exposer et de commenter l'œuvre entreprise. Tous les artisans : de la Directrice aux enfants et aux collaborateurs occasionnels, en passant par tous les membres de l'équipe. Il y faut sans doute une grande diversité, mais aussi l'unité dans l'élaboration, la synthèse, dans l'inspiration, l'esprit, les tendances. Il convient de prouver que la loi du « centre d'intérêt » s'applique aussi bien dans les travaux accomplis, que dans leur expression et leurs commentaires. On ne nous reprochera pas de l'avoir enfreinte dans nos bulletins antérieurs. Cette fois, la séance organisée à l'Institut Pédagogique National, sous le patronage du Groupe d'Education Nouvelle, nous fournit le cadre qui convient à nos intentions et nos ambitions.

Que l'on ne se méprenne pas. On ne trouvera pas dans ce bulletin le simple compte rendu de cette séance. Il a fallu allonger, amplifier, développer davantage; réserver des places à tout ce qui n'a pu être dit en un temps obligatoirement limité. Il est difficile de faire parler l'artisan de sa propre besogne. Plus difficile encore d'obtenir qu'il compose une relation de son œuvre impliquant une explication et un examen critiques. Et bien entendu, il faut que les artisans les plus exemplaires - nos enfants qui « se font en faisant » comme dirait J. P. Sartre - soient présents dans ce bulletin comme ils le sont dans tout ce que présente la Maison depuis sa fondation. Il faut encore que lecteurs comme auditeurs soient avertis qu'il ne s'agit pas de « modèles » à imiter mais d'exemples de ce que l'on peut faire.

Une fidélité efficace

Nous ne cherchons pas dans l'actualité le motif de cette publication qui n'a rien d'insolite. La Maison, comme le Groupe Français d'Education Nouvelle qui a patronné la séance du 16 mai, fonctionne sous le signe de la durée. Nos vieilles institutions universitaires furent secouées, au lendemain de la Libération, par des courants salutaires provoquant la conception et l'élaboration du plan Langevin-Wallon. Il semblait qu'elles avaient résisté victorieusement, et d'aucuns se félicitaient de la pérennité des vieilles structures et du misoneisme [1] du personnel enseignant. Mais d'incontestables progrès avaient été accomplis. On le doit à la constance du mouvement d'Education Nouvelle, à la permanence des Maisons-témoins comme la nôtre. Ernest Renan disait déjà, il y a près d'un siècle : « Le vrai, quoique n'étant compris que d'un tout petit nombre, surnage toujours et finit par l'emporter ».

La fidélité des amis de la Maison compte parmi les éléments du succès. Il y a vingt ans que par la fondation de notre Société, l'amitié s'est organisée. Et l'adhésion fut souvent tout autre chose qu'une simple formalité administrative, qu'une simple obligation financière. Ce sont les Amis de la Maison, avant même la naissance de notre société, qui ont fourni les premiers équipements. Ce sont des Amis qui l'ont sauvée, au temps d'épreuves redoutables. Et chacune des entreprises relatées dans ce bulletin ne s'est engagée et n'a réussi que grâce à quelques amitiés efficaces. Nous avons déjà rappelé que ce réseau « affectif » s'étendait dans le temps et l'espace. Telles, revenant d'Amérique ou d'Afrique, ou d'Israël, ne touchent Paris que pour courir à Sèvres et perdues dans les voies rectilignes qui dissImulent ou défigurent notre vieille vallée sèche, tâtonnent quelque peu avant de retrouver à Bussières l'âme de leur ancienne Maison aujourd'hui disparue.

Un ancien de Sèvres vous recevra dans telle Mairie de la banlieue - un ancien de Sèvres dans les bureaux de la Mutuelle - des anciennes et des anciens de Sèvres portent les « secrets » des activités de la Maison dans pas mal d'écoles, de collèges ou de lycées.

Et ce sont deux « anciennes » de Sèvres, aujourd'hui Inspectrices de l'Enseignement Primaire qui ont appelé les équipes de la Maison à illustrer des débats dans leurs circonscriptions.

Des artisans aux mains nues

Nous avons parlé des artisans... plutôt que des techniciens... Parce que ceux-ci sont dominés par les machines qu'ils ont fabriquées ou utilisées, tandis que ceux-là sont tendus vers l'œuvre à accomplir, quels que soient le temps, les matériaux et les outils. Un philosophe moderne disait : « les machines peuvent se substituer aux maitres dans toutes les tâches d'enseignement - aucune machine, si perfectionnée soit-elle si parfaitement réglée soit-elle, ne peut remplacer l'éducateur ». Et c'est vrai des systèmes sociologiques comme des machines mécaniques.

Sans préparation particulière, nos « artisans » ont depuis longtemps découvert et inventé ce que d'aucuns attribuent aujourd'hui aux « regains » d'un génie tardif. Et le miracle de la Maison c'est que le renouvellement fatal - souvent douloureux - de l'équipe n'interrompt pas les expériences, car ici, il faut s'adapter ou se démettre. Et l'adaptation - encore un miracle - non seulement ne détruit pas les personnalités, mais au contraire, les décèle et les éclaire. Pas plus de sélection pour le recrutement des enseignants que pour celui des enfants. Pas besoin « d'incubation » pour ceux-ci, de formation spécialisée ou de recyclage pour ceux-là.

Ce que nous voulons établir, c'est donc le bilan d'une expérience de vingt-sept années, menée d'abord avec « les moyens du bord », c'est-à-dire exclusivement avec ce qu'apportait l'équipe initiale, condamnée en effet à une technique « artisanale », et dans la plupart des cas, par une inversion presque miraculeuse, ne réalisant pas son œuvre avec un outillage - mais obtenant un outillage par l'œuvre accomplie... « les mains nues». Faut-il rappeler que tout s'engagea dans un climat tragique, que la connaissance et l'emploi des méthodes actives par les premières animatrices ne révélèrent aucune prévention doctrinale; que ce sont les nécessités de la normalisation d'enfants proscrits avant d'avoir connu la société humaine, persécutés avant d'avoir vécu, qui introduisirent presque spontanément les méthodes actives.

Ce qui passe et ce qui demeure

Bilan qu'on peut apprécier en toute objectivité et en toute honnêteté, car il porte sur deux générations, car ce que l'on présente a été réalisé ou se réalise, car sur les panneaux derrière les vitrines, dans les ateliers, dans les classes, dans notre bulletin... dans toutes les activités artistiques... on n'a pas entrevu l'ombre de l'élèv ... « abstrait », symbolique, sorti de l'éprouvette du laborantin - car on voit dans leur activité souvent spontanée, toujours libre, des filles et des garçons de 4 à 17 ans, normaux, sains, heureux et fiers de leur œuvre.

L'une des plus fidèles, des plus compétentes, des plus qualifiées collaboratrices de Langevin et Wallon disait de la Maison, au lendemain de la libération : « Ici rien n'est changé. Car sous l'occupation, tout y a toujours fonctionné sous le signe de la Liberté ». Les artisans de l'œuvre souhaitent comme seul hommage que l'on puisse proclamer en 1969 : « Ici rien de nouveau, car tout y a toujours fonctionné sous le signe de la Rénovation ».

Roger HAGNAUER


[1] Misoneiste : [Rare] Qui déteste tout ce qui est nouveau (Note du webmestre).

Bulletin en cours de numérisation (le vendredi 1 juin 2007)

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