Sommaire
Le compte-rendu de l'hommage public à Yvonne et Roger Hagnauer, le Samedi 4 juin 2005 à Sèvres

Les enfants cachés pendant la seconde guerre mondiale aux sources d'une histoire clandestine

Céline MARROT-FELLAG ARIOUET

Introduction

Remerciements - Nous tenons en guise d’avant-propos à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de la présente étude. Mes directeurs de recherches, Madame Marie-Anne MATARD-BONUCCI et Monsieur Pascal ORY pour leur intérêt, leur aide, leurs conseils et leur compréhension.

Madame Betty KALUSKI-SAVILLE, de l’association les Enfants Cachés. C’est elle qui a initié cette maîtrise en retrouvant les archives de la maison de Sèvres : elle y a apporté chaleureusement ses connaissances, son énergie et sa rigueur. Sans son aide précieuse, les contacts qu’elle m’a permis de nouer, les témoignages, archives et ouvrages qu’elle m’a communiqués cette maîtrise n’aurait pu voir le jour.

Mes remerciements vont également aux enfants cachés qui ont accepté de témoigner, outrepassant l’émotion que pouvait susciter cette démarche. Nous pensons en particulier à Madame Eva LANG qui a consacré de longues heures à écrire son histoire et celle de sa famille durant les années de la guerre, Mesdames WOLGUST, KUPERMINC, FALL-LEVY. Messieurs Jo SAVILLE, Armand MORGENSZTERN, BARAN-MARSZAC, Je tiens également à remercier Messieurs Freddy MENAHEM et Georges LOINGER, grandes figures de la résistance au service des enfants qui ont bien voulu nous consacrer un entretien.

Je voudrais également remercier les anciens de la maison de Sèvres. Tout particulièrement Madame Gisèle DEBAIN qui m’a si gentiment accueillie chez elle où se trouvaient les archives de la maison de Sèvres, Madame DJOURNO, les anciens pensionnaires de la maison de Sèvres qui ont accepté de témoigner : Monsieur François BORDELAIS et son épouse, Madame LEOPOLD, Monsieur ABOUAN, les institutrices et instituteurs qui ont enseigné à Sèvres : Mesdames SIMONET, MANESSI, MEILMANN, FUZELIER, Monsieur et Madame TERRAL.

Merci également aux archivistes et bibliothécaires du Centre de Documentation Juive Contemporaine, à Monsieur Jean-Pierre LE CROM qui nous a indiqué un fond d’archives sur le Secours National aux Archives de Paris.

Enfin, Je souhaiterais également adresser mes remerciement à Madame Carmen GONGORA-BLANC, pour les nombreuses relectures minutieuses et l’attention qu’elle a portée à ce mémoire.

Céline Marrot-FELLAG Ariouet

«Pus tard, dans les décennies à venir les histoires dont nous sommes les derniers témoins, sans ancrage dans la mémoire de personne, glisseront dans l’oubli. Parmi Clovis et les soldats de l’an II, il y aura Hitler et les S.S. Les historiens ramèneront à la surface pêle-mêle, les enfants cachés avec les soldats de Napoléon, Hitler avec Clovis.»

Betty KALUSKI-SAVILLE

INTRODUCTION

1) Les enfants cachés ou une rupture dans la reconnaissance des statuts de l’enfant en Occident

Dans une Europe sous domination nazie, des milliers d’enfants, parce que Juifs, ont été traqués pour être assassinés avec les adultes dans les camps de la mort. Un grand nombre d’entre eux pour échapper à l’extermination a été propulsé dans la clandestinité et dissimulé dans des milieux non juifs. Leur histoire s’inscrit dans le temps comme un moment de rupture dans le processus millénaire de la reconnaissance des droits et des statuts de l’enfant en Occident. Les recherches de Didier Lett [1] ont démontré que dès le haut Moyen-Age, l’enfant avait un statut propre et était reconnu en tant qu’individu à part entière dans la Société. Philippe Ariès a également constaté un phénomène identique pour le XVIIIème siècle : [2]

" On peut concevoir la famille moderne sans amour, mais le souci de l’enfant et la nécessité de sa présence y sont enracinés. "

Il voit dans le siècle des Lumières, l’affirmation d’un statut nouveau de l’enfant , qui passe par un souci de l’éducation exprimant des sentiments inexistants jusque-là et une affectivité différente : [3]

" On admet que l’enfant n’est pas mûr pour la vie, qu’il faut le soumettre à un régime spécial, à une quarantaine avant de le laisser rejoindre les adultes. "

Si de l’Antiquité à l’époque moderne, on peut déceler dans les sociétés le rôle de l’enfant et un statut en permanente évolution, il faut attendre le XIXème siècle pour qu’une législation protège l’enfant que le droit romain et l’Ancien Droit français ne considèrent que, comme : [4]

" l’objet de la puissance paternelle et l’avenir de la lignée. "

Sous la Monarchie de Juillet, des campagnes dénoncent le sort des enfants travaillant à cinq ans dans les mines et les filatures. [5] Ainsi, en 1892, une législation consacrée aux enfants est destinée à les protéger contre leur famille ou leur employeur. En continuité avec le siècle précédent, " La Déclaration des Droits de l’Enfant " publiée le 28 février 1924 par une organisation non gouvernementale, " L’Union Internationale de Secours aux Enfants ", est le premier texte de référence. Cette déclaration affirme solennellement, pour la première fois, les droits qui s’appliquent à la personne mineure, au regard de la loi, mais également dans le contexte de la vie courante. Ce texte novateur est adopté le 26 septembre 1924 par la Société des Nations. [6]

Mais, quelques années plus tard, l’idéologie nazie constitue une cassure brutale dans l’élaboration de ce processus. Sous l’angle de la théorie du darwinisme social, le nazisme proclame la supériorité de la race aryenne, impliquant la disparition des races dites inférieures. Cette remise en cause d’une partie de l’humanité n’excluait surtout pas les enfants. Plus encore, dans son discours du 6 octobre 1943, Himmler rappelait la nécessité de faire périr ces enfants qui, une fois adultes, se vengeraient sur les descendants des bourreaux. Une machinerie planifiée, industrialisée, sans cesse améliorée pour que les procédés de la mise à mort soient toujours plus efficaces, a donc été mise en place partout en Europe, en même temps que la chasse à l’homme et à l’enfant. Décimés dans les camps de la mort, ces enfants demeurent aujourd’hui le symbole du crime contre l’Humanité. Comme le rappelle Serge Klarsfeld :[7]

" A mes yeux, aux yeux de beaucoup, le crime contre l’humanité est avant tout le crime commis contre des innocents, ceux qui ne nuisent à personne et prioritairement les enfants. "

Dans une France à l’heure allemande, sur les 200 à 220 000 Juifs, dont 70 000 enfants de moins de 18 ans ayant survécu aux arrestations, aux rafles et à la déportation, on peut estimer à environ 60 000 le nombre des enfants qui ont été préservés de la Solution Finale. [8] La plupart de ces enfants, traqués par Vichy et la Gestapo, ont été cachés pour échapper à la déportation. Leur histoire s’intègre dans celle du sauvetage des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, tout en constituant un chapitre à part.

2) La France de Vichy : de la discrimination à la persécution

Le sort des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale est imbriqué dans celui des adultes. La compréhension des situations vécues par la communauté juive avant-guerre et au moment de la signature de l’armistice à Rethondes le 22 Juin 1940 est essentielle pour donner un éclairage sur le contexte autour des enfants, alors que se mettent en place les premières mesures discriminatoires. Dans un premier temps, Vichy poursuit une politique discriminatoire déjà en vigueur sous le régime précédent à partir de 1938.

Au sein de la communauté juive, deux catégories se distinguent : les Israélites, fondus depuis plusieurs générations dans la nation française, car la République laïque stipule la séparation entre fait politique et religieux, se refusant ainsi à s’intéresser à toute désignation confessionnelle, et les Juifs étrangers éparpillés en fonction de la nationalité de leur pays d’origine. Juifs récemment immigrés et Israélites de France ne se fréquentent pas. Les seconds craignent que ces nouveaux arrivants ne remettent en cause leur enracinement. Seules quelques organisations telles que le Bund ou la M.O.I. - Main d’Oeuvre Immigrée - tournées vers le communisme ou plus largement la gauche tentent d’aider en priorité les Juifs étrangers qui ne sont pas encore intégrés dans la société française.

Rappelons également que dans les années 1930, la xénophobie prévaut sur l’antisémitisme, d’où la nécessité d’établir une distinction entre les 90 000 Israélites parfaitement enracinés dans le tissu social, les Juifs récemment naturalisés, et les Juifs immigrés. En effet, la variété des situations connues par les Juifs résidant en France en 1940 est fonction des vagues d’immigration juives de 1919 aux années 1930. Le premier flux concerne les Juifs provenant des états baltes, de Pologne - états nouvellement créés -, de Roumanie et de Hongrie.

Le deuxième flux d’immigration important, qui est celui des années 1930, est consécutif à la montée du nazisme : ce sont des Juifs d’Allemagne qui fuient le régime hitlérien, après les lois racistes de Nuremberg, d’Autriche après l’Anschluss, des Juifs allemands à nouveau, après la Nuit de Cristal, premier déchaînement de violence contre les Juifs.[9] Les Juifs qui viennent d’Allemagne sont parfois ceux qui se sont installés à Berlin après les pogroms en Russie à la fin du XIXème siècle, puis qui ont été contraints de fuir à nouveau après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et se sont installés dans d’autres pays d’Europe, notamment en France où l’on accorde la nationalité française, entre 1927 et 1940, à 50 000 Juifs étrangers, naturalisés en vertu de la loi de 1927. Mais à partir des années 1930, les lois deviennent plus restrictives en matière d’immigration : celle du 10 août 1932 ou encore celle du 9 août 1935 imposent aux travailleurs étrangers un contingentement par profession, par industrie et par région. Dans les dernières années de la Troisième République, les Juifs étrangers subissent la hargne xénophobe, en vertu du principe ancestral que les maux de la nation incombent aux étrangers.

En septembre 1939 la guerre éclate et tourne rapidement au désastre. Les troupes allemandes entrent le 14 juin 1940 dans un Paris vidé de la plus grande partie de sa population. L’ampleur de l’exode est énorme. C’est dans ce climat que le gouvernement de Pétain est constitué le 17 juin 1940. La Troisième République fait appel au héros national de la Grande Guerre, le Maréchal Philippe Pétain qui signe l’armistice à Rethondes, le 22 juin 1940. Le 10 juillet, l’Assemblée Nationale, à l’exception de 80 députés, lui confie les pleins pouvoirs. La France est alors coupée en deux par la ligne de démarcation. La zone nord, ou zone occupée, est soumise au pouvoir allemand, tandis que la zone sud dite libre est sous le contrôle du Maréchal. Mais il est important de souligner que Vichy conserve le pouvoir de police dans les deux zones.

Le Nord-Pas-de-Calais est détaché de la zone occupée et rattaché au commandement allemand en Belgique, l’Alsace et la Lorraine sont annexées, l’une est rattachée au Gau de Sarre-Palatinat, l’autre à celui de Bade. Des milliers de familles françaises sont expulsées, tandis que ces régions sont soumises à une germanisation systématique. C’est dans une France ébranlée par le choc de la débâcle et de l’occupation que se mettent en place le régime de Vichy et progressivement les mesures discriminatoires contre les Juifs.

La politique française, à partir de l’armistice, est fondée sur le maintien de la paix et tente d’offrir à la France une place de choix dans une Europe à l’heure allemande. Cette volonté constitue le postulat de la collaboration. Les mesures antisémites s’inscrivent dans cette optique qui conduit à devancer les désirs de l’occupant par tous les moyens. C’est ainsi que " L’occupation allemande en France et le gouvernement de Vichy constituent les deux faces de la même médaille. " [10]

De 1940 à 1945, on peut distinguer trois périodes inégales dans le processus qui se met en place, débute par des mesures discriminatoires et s’achève par les déportations qui conduisent à l’assassinat de la population juive dans les camps de la mort. De la débâcle au premier statut des Juifs a lieu un temps de transition durant lequel les pouvoirs légaux ne sont pas encore établis.

La première période débute avec le statut des Juifs du 3 octobre 1940 et s’achève au début de l’été 1942. Elle concerne l’établissement des mesures discriminatoires, et le début des persécutions anti-juives. Immédiatement après le 3 octobre 1940, des familles de Juifs étrangers sont assignées à résidence, internées à Gurs ou à Rivesaltes, dans des conditions d’hygiène et d’alimentation rudimentaires, et où les enfants sont en danger. Les organisations caritatives tentent en priorité de les faire sortir pour les placer dans des maisons.

A partir de mai 1941 commencent les rafles concernant les hommes juifs étrangers, ce qui provoque de nombreux bouleversements au sein des familles. En mars 1942 a lieu le départ du premier convoi de déportés.

De juillet 1942 à 1943, c’est ce que les survivants appelleront " le temps des rafles " et de la déportation en masse, avec la rafle du Vel d’Hiv en particulier, à partir de laquelle, suite aux tractations entre Vichy et les nazis, les enfants sont déportés également. L’initiative est de Laval qui propose aux Allemands " par humanité " de ne pas séparer les enfants des parents. Etrange " regroupement familial " en effet, puisque dans les faits les enfants sont séparés de leurs mères qui les précèdent dans les convois à destination d’Auschwitz, ce qui ajoute à la tragédie du sort réservé à ces enfants. Après le jeudi noir du 16 juillet 1942, 4 115 enfants sont déportés à Auschwitz. Aucun d’eux n’en reviendra .[11]

La dernière période concerne les années 1943-1944 qui sont celles de l’occupation entière de la France, tandis que les grandes rafles se poursuivent sur l’ensemble du territoire. A l’intérieur de cette chronologie, certains événements, tels que la rafle du Vel d’Hiv, la Rafle par la Gestapo de Lyon des 44 enfants de la maison d’Izieu le 6 avril 1944, et la grande rafle du 26 août en zone libre, sont devenus des symboles de la barbarie nazie dans la mémoire collective.

La rafle du Vel d’Hiv constitue un événement majeur dans l’histoire du sauvetage des enfants puisqu'à partir du 16 juillet 1942, cacher les enfants devient la seule alternative à leur survie. Cette date renvoie à de nombreuses interrogations. Tout d’abord, la rafle du Vel d’Hiv a-t-elle généré des courants de solidarité au sein de la population française en raison de l’arrestation pour la première fois des enfants ? En effet, à quelle hauteur la population française et en particulier celle de Paris, prise jusque-là par le tumulte de la débâcle, puis par la nécessité de s’adapter à l’occupation, a-t-elle été indignée par les traitements infligés aux familles et émue en particulier en raison de l’arrestation des enfants et du déchirement des familles ? De plus, parmi les familles juives averties de la rafle, combien ont tenté de prendre le chemin de la clandestinité et décidé ainsi de se mettre définitivement hors la loi par rapport au régime ?

3) Face à la persécution : la mise en place du sauvetage des enfants juifs

Les statistiques montrent que le sauvetage des Juifs en France a été une réalité qui ne doit rien au régime de Vichy, mais au soutien d’une partie de la population française toutes tendances religieuses confondues. Au niveau de l’Europe entière, 1 500 000 enfants ont péri dans les camps de la mort pendant la Seconde Guerre mondiale. 11 000 de ces enfants ont été déportés de France.

D’après les statistiques établies par Serge Klarsfeld, la France est l’un des pays d’Europe occupée qui compte le plus grand nombre d’enfants juifs sauvés [12] malgré un gouvernement collaborateur qui a tout mis en œuvre pour anticiper les desseins de l’occupant. Au Danemark, le refus total de coopérer de la part du gouvernement, allié à celui de la population a permis à 93 % des Juifs de ce pays de survivre. Aux antipodes, 85 % des Juifs des Pays-Bas ont été déportés. Selon les estimations de Serge Klarsfeld, en France, le nombre des enfants de moins de quinze ans devait atteindre 70 000, ce qui constitue une proportion de 21 %. Cette proportion est comparable à la situation de deux pays voisins : la Belgique et l’Italie.

En Belgique, 5 200 enfants de moins de 16 ans ont été déportés sur 25 500 déportés, ce qui équivaut à une proportion de 20 %.[13] En Italie continentale où le nombre des déportés est de 6 746, le nombre des enfants de moins de 20 ans a été de 1 428, ce qui équivaut à une proportion de 21,5 %. Les statistiques établies pour ces trois pays coïncident. Or, en France, les 9 300 enfants déportés de moins de 16 ans par rapport aux 75 700 déportés, représentent une proportion de 12,3 %, pourcentage nettement inférieur aux pays voisins.

Si l’on prend en considération les enfants jusqu'à 18 ans, on obtient la répartition suivante par tranches d’âge des enfants déportés :

Tranches d’âge Nombre d’enfants déportés Pourcentage
Enfants de moins de 6 ans 1 893 2,7 %
Enfants de 6 à 12 ans 4 129 5,8 %
Enfants de 13 à 17 ans 4 125 5,8 %
TOTAL 10 147 14,3 %
Tableau n° 1 : enfants déportés par tranches d’âge parmi les 70 870 déportés dont l’âge avait pu être déterminé [14]

Ces statistiques, comparées aux 21 % d’enfants déportés d’Italie continentale et aux 20 % d’enfants déportés de Belgique, révèlent l’importance du sauvetage des enfants juifs en France. La préservation des enfants apparaît encore dans le nombre de ceux qui sont déportés par année. En effet, les listes des convois étudiées par Serge Klarsfeld montrent une nette régression entre 1942 et 1944 :

Année Nombre d’enfants dans les convois
1942 6 500
1943 1 700
1944 1 200
Tableau n° 2 : Nombre d’enfants dans les convois entre 1942 et 1944

La diminution du nombre des enfants juifs dans les convois à partir de 1943 témoigne de l’efficacité du camouflage des enfants, notamment par les différentes organisations, à partir de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 en zone occupée, et de la Grande Rafle de la zone sud, le 26 août 1942.

4) Les enfants cachés au cœur du contexte historiographique actuel

Pourquoi les enfants cachés plus de cinquante ans après la seconde guerre mondiale ? L’histoire des enfants cachés est fonction de l’évolution historiographique concernant la France de Vichy et la persécution des Juifs, et de la prise de conscience des enfants survivants de cette époque de la nécessité de témoigner. Dans les années qui ont suivi la guerre, les actes glorieux de la Résistance ont éclipsé l’étude de Vichy, des collaborateurs et des collaborationnistes. Le premier ouvrage concernant le régime de Vichy fut celui de l’Américain Robert O. Paxton, [15] paru en 1974. Jusqu'à cette date, comme le rappelle Pascal Ory, la période de Vichy était apparue comme " Quatre années à rayer de notre histoire ", de même que les récits des actes de la résistance avaient fait oublier que " les maquisards de 1944 avaient d’abord eu à se battre contre d’autres Français."

Dans la préface de l’édition de 1980 des Collaborateurs, 1940-1945, Pascal Ory précise : [16]

" Je me souviens... Les grands et gros volumes étaient remisés dans la zone la plus obscure, la moins accessible des Archives.... Lourds à porter ces in- folio, et quelle poussière je soulevais en les ouvrant, mais aussi quelle prodigieuse initiation cryptique ! "

En 1945, l’opinion publique apprit la tragédie de la déportation - mais en aucun cas la spécificité de l’extermination du peuple juif - d’abord avec la libération des camps, fortuitement découverts au fur et à mesure de l’avance des armées alliées. La campagne d’information lancée par les Américains au moment de la découverte de Buchenwald - premier camp libéré - fut l’occasion d’une légère prise de conscience populaire.

Mais comme l’explique Annette Wieviorka : [17]

" On peut beaucoup discuter la façon d’organiser l’information. Je vais pour ma part utiliser le terme de " tourisme de l’horreur ", en constatant à quel point on faisait visiter à des journalistes l’ensemble de ces camps en insistant sur les aspects les plus atroces : les expériences médicales, ces choses-là, Marie-Anne Matard-Bonucci, [18] elle, emploie le terme de " pédagogie de l’horreur. " (...) " Et aujourd’hui cinquante ans après, on est très loin de cela, c’est-à-dire que notre réflexion sur l’univers concentrationnaire et sur l’extermination des Juifs est tellement avancée que l’on est surpris qu’on ait pu montrer cela, ce qu’étaient les camps. (...) " Cette politique de communication des Américains va créer dans l’opinion publique un choc, mais cette onde de choc va être finalement brève. "

Ce n’est que bien des années après qu’Auschwitz devient l’emblème de l’horreur, puisqu’à sa libération le 27 janvier 1945 par les avant-gardes de l’Armée Rouge, il ne reste que quelques milliers de déportés, les 60 000 survivants ayant été mis sur les routes dans " Les marches de la mort ". L’annihilation des Juifs n’apparaît pas et leur sort se fond dans celui des déportés politiques. [19] La Shoah semble occultée. [20] En avril 1945, les premiers déportés rentrent. Les quelques récits de rescapés sont censurés par le gouvernement, en raison de la guerre qui continue et les déportés eux-mêmes s’auto-censurent par pudeur, redoutant surtout que l’indicible n’engendre l’incrédulité.

Les années de la guerre froide sont marquées par le silence. Dans les années 1950, le souvenir de cette tragédie n’est évoqué que par touches successives, comme avec le roman d’André Schwartz-Bart, Le Dernier des Justes, [21] prix Goncourt en 1959. Aux antipodes du silence qui a régné pendant les années 1950, au cours des années 1980-1990, le génocide des Juifs devient un thème récurrent, presque médiatique.

A la fin des années 1970, l’affaire Faurisson, celle du feuilleton américain Holocauste, [22] l’affaire Roque, celle du carmel d’Auschwitz, l’inculpation de Leguay, le " détail " de Jean- Marie Le Pen, la profanation du cimetière juif de Carpentras, ont été autant d’occasions de rappeler ce qu’avait été le sort des Juifs à l’ère du nazisme. Comme le souligne Annette Wiéviorka, si le génocide des Juifs est devenu un enjeu de mémoire autour duquel fusent émissions de télévision, ouvrages, documentaires et multiplication de témoignages, il apparaît que ce thème est au cœur de crises politico-médiatiques à l’intérieur du pays, attestant que la France n’en a pas encore fini avec son passé.

Les procès ont pris une importance cruciale dans l’évolution du degré de connaissance de l’opinion. Celui d’Adolf Eichmann en particulier, où pour la première fois est reconnue universellement la spécificité de l’extermination des Juifs, constitue un tournant important et incite les historiens à ouvrir les champs d’investigation. En France, les procès de Klaus Barbie, Paul Touvier et tout récemment celui de Maurice Papon ont eu l’effet de catalyseurs dans l’information de l’opinion sur le rôle de l’Etat français dans la déportation des Juifs. [23]

Ainsi, l’étude de la Shoah et du rôle qu’a tenu la France ont longtemps été différés. Ce n’est qu’en 1993 que pour la première fois un Président de la République reconnaissait officiellement le rôle de l’Etat français dans les persécutions. Le 16 juillet 1993 devenait " Journée Nationale ". Sur la plaque souvenir était gravé : [24]

" La République française en hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite " du gouvernement de l’Etat français. "

Le 30 septembre 1997, Monseigneur Berranger, évêque de Saint-Denis, lisait au cours d’une cérémonie officielle, en présence des évêques de France dans les diocèses desquels se trouvaient les camps d’internement, une déclaration sur l’attitude de l’Eglise catholique pendant la Seconde guerre mondiale. Cette cérémonie unique jusque-là fut suivie peu de temps après par une déclaration de repentir de la police française.

Les ouvrages de Primo Lévi, [25] le film Shoah de Claude Lanzmann en 1985 ont constitué également de puissants révélateurs à tel point que l’on peut dire " qu’il y a un avant et un après Primo Lévi, un avant et un après Claude Lanzman, un avant et un après procès de Klaus Barbie qui continueront à braver l’oubli. " [26]

La chasse donnée par Serge et Béate Klarsfeld, véritables militants de la mémoire, aux criminels de guerre nazis à travers le monde fut sans doute fondamentale dans l’information de l’opinion publique. Serge Klarsfeld dans une interview accordée au journal Le Monde le 11 mai 1987 à l’occasion du procès Barbie, expliquait ainsi sa volonté " [de ne pas] poursuivre indéfiniment le crime nazi, mais d’empêcher qu’il ne soit indéfiniment protégé. " [27]

En 25 ans, le pari des Klarsfeld semble gagné : susciter au niveau de l’opinion publique une prise de conscience, faire juger les criminels de guerre nazis et préserver la mémoire de la Shoah. Des coups d’éclat médiatiques marquent l’opinion, comme lorsqu'en 1968, Béate Klarsfeld réussissant à passer outre le système de sécurité, gifle le chancelier allemand Kiesinger, ancien responsable de la propagande radiophonique nazie, Serge Klarsfeld justifie leur action :[28]

" Il faut agir avec une violence symbolique qui entame la conscience publique. (...) Nous avons tenu à faire juger en R.F.A. les responsables de l’appareil policier en France : Kurt Lischka, Herbert Martin Hagen et Ernst Heinrichsohn. Nous avons ensuite décidé de retrouver et de faire juger deux des nazis coupables d’avoir envoyé à la mort des enfants : Klaus Barbie et Aloïs Brunner. "

L’étude de la Shoah est lancée et la réflexion évolue. Outre le livre de Michael Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, l’impressionnant Vichy Auschwitz, [29] sous-titré Le rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question juive en France, en deux tomes parus en 1983 et 1985 constitue désormais un ouvrage de référence.

Dans les années 1990, ont commencé à paraître des ouvrages sur l’attitude des Juifs pendant cette période, mettant un point final à nombre d’idées reçues telles que la passivité des Juifs et la non-existence d’une résistance juive. De plus, ces études substituent l’étude du politique à celle de l’opinion publique. Des ouvrages tels que ceux d’André Kaspi, [30] Adam Rayski, [31] ou d’Asher Cohen, [32] Persécutions et Sauvetages, associent les deux aspects finalement d’une même question. Dans cette même ligne s’inscrit l’ouvrage de Renée Poznanski, [33] qui envisage l’étude des Juifs du point de vue de la Société et non sous les auspices de la relation entre le politique et les institutions juives. Les différentes facettes de la société, de la résistance juive et de la persécution sont ainsi étudiées.

Mais de tous les aspects de l’histoire des Juifs sous l’occupation, les enfants cachés n’ont jamais fait l’objet d’une étude systématique. [34] Certes, cette histoire suggérée à travers une littérature abondante ne constitue qu’une partie du sauvetage des Juifs, et également une facette du sauvetage des enfants puisque tous ceux qui ont survécu au génocide n’ont pas tous été des enfants cachés. L’histoire des enfants cachés, laissée en suspens pendant de longues années, est également fonction d’un autre facteur qui est celui de la prise de conscience des survivants de la nécessité de témoigner.

Ces dernières années, la transmission de la mémoire, voire le devoir de mémoire, est apparue à de nombreux anciens enfants cachés restés silencieux jusqu’au sein de leurs familles, ou que personne n’avait pris la peine d’écouter. Du temps de leur enfance, l’essentiel avait été de survivre, personne ne les avait interrogés et ils ne pouvaient en aucun cas avoir conscience de la singularité de leur parcours. Laissés longtemps à l’écart et stéréotypés dans l’imagerie collective comme d’innocentes victimes, il aura fallu plus de cinquante ans pour que les enfants cachés retrouvent leur véritable place dans l’histoire de la guerre.

Même les enfants de ces témoins oubliés ignorent pour la plupart ce qu’a été l’enfance de leurs parents qui pensaient ainsi les préserver des souffrances qui avaient été les leurs, en occultant leur passé d’enfants traqués. Les questions de la nouvelle génération ont rouvert les portes d’un passé enfoui mais jamais cicatrisé. Certains enfants cachés de la guerre, enfants en danger et sauvés, ont eu à traîner le fardeau de la culpabilité, parce qu’ils avaient réussi à survivre, alors même que leurs parents avaient péri dans les camps de la mort. L’identité des enfants cachés s’intègre tout à fait dans cette définition du mot survivre élaborée par le rabbin Daniel Fahri :[35]

" Selon le dictionnaire, survivre, c’est demeurer en vie, vivre après une chose insupportable (perte, chagrin, humiliation), continuer de vivre après une cause de mort. On sent rien qu’à l’énuméré de ces définitions, toute la charge émotionnelle, dramatique, tragique que représente le fait de survivre. En fait, survivre, ici c’est continuer de vivre alors qu’on devrait être mort, continuer de vivre après l’horreur absolue, l’indicible, l’insupportable, toutes choses qui portent un seul nom en hébreu : Shoah (...). Comment survivre à cela, et s’il survit comment peut-il être comme avant ? Quels sentiments l’assaillent face à ceux qui ont péri dans la tourmente. "

Alors que les rescapés de la déportation acceptaient de transmettre leur expérience des camps - quand toutefois on a bien voulu les écouter- les anciens enfants cachés de la guerre se sont sans doute demandés en quoi leurs itinéraires d’enfants présentaient-ils un intérêt pour l’Histoire ? Sans penser que leur vécu constituait une histoire à part, ils n’envisageaient leur témoignage qu’en tant qu’enfants de victimes. Enfin, pendant de longues années, ils avaient eu surtout à laisser enfoui au fond d’eux-mêmes un passé lourd d’émotions et de douleurs. Dans les années 1990, des associations d’anciens enfants cachés sont nées, rompant enfin le silence d’un demi-siècle. Le film de Myriam Abramowicz et Esther Offenberg, "Comme si c’était hier", sur les enfants cachés en Belgique, a été le point de départ de nombreuses associations de par le monde, qui s’efforcent de réunir les anciens enfants cachés et de faire connaître leur histoire. Les enfants cachés ont commencé à parler. En 1992, L’Association française " Les Enfants Cachés " [36] fondée par quelques anciens et leurs sauveurs voit le jour. Association indépendante, loi 1901, [37] créée avec le soutien de la " Coopération féminine ", [38] libre de tout courant politique ou religieux, elle contribue à transmettre la mémoire de la Shoah aux nouvelles générations. L’association développe plusieurs activités. La mémothèque regroupe des témoignages complets d’enfants cachés et de leurs sauveurs. Ces fonds sont destinés à être mis à la disposition des chercheurs en France et en Israël et constituent des sources pour l’Histoire Orale. Des groupes de paroles permettent aux enfants cachés de se retrouver, d’exprimer leurs difficultés face à leur passé et de confronter leurs expériences par l’écoute d’autrui. Des colloques ouverts à toutes les générations et à toutes les confessions sont également organisés autour de sujets relatifs aux enfants cachés. De même, des rencontres mensuelles avec débat réunissent des invités compétents. L’association effectue également des projections de films avec débats et organise des visites-voyages sur les lieux de mémoire.

Enfin, le bulletin trimestriel de l’association constitue une source fondamentale. Il traite de sujets concernant les réseaux de sauvetage, diffuse des avis de recherche qui permettent de retrouver des sauveurs et des compagnons de route. Il donne des informations sur les associations d’enfants cachés de par le monde, ainsi que des nouvelles brèves d’événements et d’actualité . Ainsi, ce sont les acteurs de cette histoire de l’enfance traquée qui sont aujourd’hui le moteur d’une recherche historique dans un domaine pionnier et peu exploité jusque-là.

L’histoire de ces enfants cachés est avant tout une histoire de la clandestinité. Les principales sources sont celles de l’histoire orale. Les témoignages encore difficiles à obtenir sont parfois le seul lien qui subsiste avec ce passé. Les archives écrites, auxquelles il n’est pas toujours facile d’accéder en totalité et qui sont la plupart du temps incomplètes, sont essentiellement privées. De plus, ce sont celles d’une période où l’ordre du jour était la chasse à l’homme, elles doivent être systématiquement décryptées et sont peu éloquentes dans la mesure où elles mettaient en jeu la sécurité des enfants cachés.

5) Pour une "Histoire des enfants cachés"

Il aura fallu plus de cinquante ans pour que se révèle l’existence des enfants cachés et que les deux termes de cette expression deviennent indissociables dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Les enfants cachés retrouvent peu à peu depuis quelques années leur place dans l’Histoire. Il ne serait pas réaliste de prétendre à une étude exhaustive de toutes les filières souterraines de sauvetage des enfants juifs. De nombreuses pistes demeurent encore inconnues parce que les sauveteurs ou les anciens enfants cachés ne se sont jamais manifestés.

Les filières qui ont permis de cacher les enfants sont indénombrables et surtout se sont développées sous des formes multiples dans la plus grande clandestinité, englobant la participation de nombreux Français anonymes. Etant donné l’hétérogénéité des sources et le fait qu’il n’existe pas de synthèse, il nous a paru fondamental d’esquisser un vaste tableau de ce qu’ont pu représenter les différentes filières, en partant des situations où les enfants sont en danger, puis des conditions dans lesquelles se sont déroulés les sauvetages, du rôle et du fonctionnement des organisations qui y ont participé et de la vie des enfants pendant la traque et la clandestinité, au risque de voir certaines parties de cette étude sembler factuelles.

Dans l’étude des itinéraires d’enfants cachés, trois paramètres sont incontournables : la situation politique qui est celle de la collaboration, son corollaire la dialectique imposée par la partition de la France entre la zone libre et la zone occupée, ainsi que la chronologie de la persécution. Ces trois facteurs interdépendants déterminent à chaque instant les conditions de survie des enfants. Au niveau politique, il apparaît clairement que la situation de la France, laisse une latitude plus importante aux sauveurs pour mettre en place les structures des réseaux, et ce même aux moments les plus forts de la persécution, à l’opposé de pays totalement occupés tels que la Pologne où le système des ghettos annihile quasiment toute possibilité d’action.

De plus, il est essentiel de noter que même après le 11 novembre 1942, date de l’occupation totale de la France, la vie en zone libre devenue zone sud reste moins pesante qu’en zone nord où la présence des Allemands dès 1940 rend les sauvetages d’enfants encore plus périlleux. [39] Il nous faudra donc prendre en compte dans un premier temps les situations qui ont conduit les familles à prendre la décision de cacher les enfants. Quels ont été les moments en zone libre et en zone occupée où les enfants se sont trouvés en danger ? Et surtout quels ont été les facteurs de la prise de conscience des parents de la nécessité de mettre les enfants à l’abri ?

Si la plupart des enfants cachés l’ont été par leurs parents ou leur entourage, on ne saurait oublier le rôle tenu par l’entraide entre les organisations juives telles que l’Œuvre de Secours aux Enfants, la Mère et l’Enfant, les Eclaireurs Israélites de France, les oeuvres religieuses catholiques - comme les Pères de Sion - protestantes telles que la C.I.M.A.D.E., la Clairière, œcuméniques avec l’Amitié Chrétienne, laïques comme le Mouvement National contre le Racisme ou l’Entraide Temporaire, qui ont participé au sauvetage des enfants en leur trouvant des lieux où se cacher, des papiers pour masquer leur véritable identité et en effectuant un suivi régulier de chaque enfant. C’est ainsi toute une résistance semi-organisée qui s’est mise en place dans la tourmente pour soustraire les enfants à la déportation.

Quels échos les organisations et les individus qui se sont penchés sur le sort des enfants ont-ils trouvé parmi la population française ? Parmi les sauveurs, quelle a été l’importance de l’action des Eglises, catholiques et protestantes pour qui le mot persécution n’était pas sans résonance ? De plus, quels objectifs poursuivaient les civils et les religieux qui ont pris en charge les enfants ? Humanisme ? Pitié ou charité ? Acte politique pour marquer une opposition à Vichy ou à l’occupant ? Volonté de récupérer les enfants au sein de l’Eglise par la conversion ? L’affaire des enfants Finaly [40] dans les années 1950 est-elle une exception ou reflète-t-elle la fin d’une certaine tendance des institutions religieuses de l’époque ? Quelle était la signification politique et morale des actes des sauveurs qui ont recueilli ces enfants au péril de leur vie ? Et à quelles motivations répondaient ceux qui avaient fait le choix d’être dans la résistance au service du sauvetage des enfants par rapport à des engagements pris dans la résistance armée ou dans l’aide aux adultes juifs ?

Toutes ces interrogations convergent vers une question récurrente dans l’étude de la France de Vichy qui est celle de l’attitude des français sous l’occupation. En parallèle des sauveurs, nous nous sommes intéressés aux enfants dont chaque itinéraire est différent, même si tous ont en commun les répercussions d’une enfance brisée par la traque et l’instabilité constante de leur vie dans cette période où ils n’ont parfois conservé aucun repère de leur vie passée avec leurs parents. Il s’agit de redonner aux enfants cachés leur rôle d’acteur dans leur histoire à l’encontre d’une littérature qui ne les a envisagés que comme des victimes sur lesquelles quelques bienfaiteurs avaient bien voulu se pencher. Comme le signifie Adam Rayski :[41]

" Ils ont su être pour les plus grands qui avaient dépassé l’âge de cinq ou six ans, des acteurs dans la tragédie où ils furent projetés malgré eux. "

Pour clore ce tour d’horizon de l’univers des enfants cachés, nous avons choisi l’étude d’un circuit souterrain de sauvetage des enfants, le réseau Marcel et celle de la Maison d’enfants de Sèvres au cœur de la zone occupée. Le réseau Marcel a sauvé dans la région de Nice, plus de 527 enfants dans des conditions extrêmes. Circuit souterrain totalement indépendant, il a été fondé et animé par Moussa et Odette Abadi. Son action couvre la région de Nice, qui connaît de 1940 à 1945 trois situations politiques, à savoir l’appartenance à la zone libre jusqu’en novembre 1942, l’occupation italienne, temps de répit pendant lequel se mettent en place les structures du réseau, puis l’arrivée des allemands qui y sèment la terreur à partir du 10 septembre 1943. La situation politique de cette région donne au réseau Marcel une connotation particulière.

Le réseau Marcel constitue l’envers du décor de la Maison d’enfants de Sèvres, [42] dépendant du Secours National - Entr’Aide d’Hiver du Maréchal, œuvre récupérée par Vichy pour servir la propagande du régime. A partir de 1942, Yvonne Hagnauer, qui fonda la maison en 1941, accueillit des enfants juifs cachés sous de fausses identités qui constituèrent rapidement plus des deux tiers de l’effectif. Outre l’activité de sauvetage des enfants, cette maison constitua également une véritable expérience pédagogique, synthétisant les méthodes de l’Education Nouvelle pour les besoins de la réadaptation des enfants cachés au niveau de la vie en communauté et du milieu scolaire.

Les recherches conduites dans le cadre du mémoire ont par ailleurs permis de découvrir que d’autres maisons du Secours National cachaient des enfants dont Vichy avait fait des proscrits, ce qui renvoie à de nombreuses interrogations sur les motivations des directeurs des maisons d’enfants, et celles de certains responsables du Secours National qui ont, à l’intérieur de cette organisation collaborationniste, développé des activités pour la Résistance. Ainsi, cette étude contribuera peut-être à donner un éclairage différent sur la France de Vichy, sur l’attitude des Français et à esquisser de nouvelles limites entre Collaboration et Résistance.

Sommaire - Introduction - I Enfants cachés, enfants en danger - II Les organisations juives - III Deux organisations laïques - IV Juifs et chrétiens - V Le réseau Marcel dans la région de Nice - VI La Maison de Sèvres - VII Conclusion - VIII Bibliographie - Iconographie


[1] Voir en particulier, Didier LETT, L’enfant au Moyen-Age, Editions Hachette, Paris, mars 1998 et L’enfant des miracles, Editions Aubier, 1997

[2] Philippe ARIES, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Editions du Seuil, Paris, 1973, 502 pp

[3] Idem

[4] Cf. Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, Les droits de l’enfant, Que sais-je, Presses Universitaires de France, Paris, 1991, 127 pp. pp 4-5.

[5] Cf. Florence LAROCHE-GISSEROT, Les Droits de l’Enfant, Editions Dalloz, Paris, 1996, 97 p, pp 1-5.

[6] Dossier sur les Droits de L’Homme n° 10, pp 5-6, Le Conseil de l’Europe et la Protection de l’Enfance, article de Pascale BOUCAUD, L’opportunité d’une Convention Européenne des droits de l’enfant, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1989, 170 pp.

[7] Citation de Serge KLARSFELD, in Le Mémorial des enfants Juifs déportés de France, ouvrage édité par Serge KLARSFELD, Paris, 1994, 1552 pp, p 11.

[8] Idem

[9] Voir Renée POZNANSKI, Etre Juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Editions Hachette, Paris, 1994, 859 pp.

[10] Asher COHEN, Persécutions et Sauvetages, Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Editions du Cerf, Paris, 1993, 524 pp.

[11] Cf. Mémorial de la déportation des enfants juifs de France, op. cit.

[12] Serge KLARSFELD, Le Mémorial des enfants Juifs déportés de France, ouvrage édité par Serge KLARSFELD, Paris, 1994, 1552 pp. Serge Klarsfeld, lui-même ancien enfant caché, a consacré une partie de sa vie avec l’aide de son épouse à rechercher les criminels de guerre nazis à travers le monde pour obtenir qu’ils soient jugés. Il est également le fondateur de la Fédération des Fils et Filles des Déportés Juifs de France (F.F.D.J.). Après Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, Serge Klarsfeld a décidé de donner un visage et un nom aux enfants déportés. Cet ouvrage, réalisé au terme d’un travail précieux, resitue ces enfants dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et celle du génocide des Juifs. Il apporte des statistiques précises sur la déportation des enfants. Dépassant son but initial qui est la préservation de la mémoire de la Shoah, ce mémorial consacré aux enfants est un outil précieux pour les historiens.

[13] Voir Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique

[14] D’après Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, de Serge KLARSFELD, chiffres rendus publics en 1978.

[15] Robert O. PAXTON, La France de Vichy, 1940-1944, Editions du Seuil, Paris, 1974, 375 pp

[16] Pascal ORY, Les collaborateurs, 1940-1945, Editions du Seuil, Paris, 1976, 331 pp.

[17] Intervention d’Annette WIEVIORKA, Actes du colloque des Enfants Cachés, 21 mai 1995, Paris, Palais du Luxembourg, Salle Clémenceau, Les enfants Juifs et la Libération de l’Europe, publié par l’Association Les Enfants Cachés, Paris, 31 décembre 1995, 141 pp, p 26

[18] Sur l’organisation de l’information autour de la Libération des camps et du retour des déportés voir l’ouvrage sous la direction de Marie-Anne MATARD-BONUCCI et Edouard LYNCH, La Libération des camps et le retour des déportés, Editions Complexe, Bruxelles, 1995, 285 pp.

[19] Annette WIEVIORKA, Déportation et génocide, Editions Plon, Paris, 1992, 506 pp

[20] idem

[21] André SCHWARTZ-BART, Le dernier des Justes, Editions du Seuil, Paris, 1959, 346 pp.

[22] Ce feuilleton en quatre épisodes réalisé par Marvin J. CHOMSKY relate l’histoire d’une famille juive pendant la Shoah.

[23] Si le procès du nazi Klaus Barbie, a été riche du point de vue de la prise de conscience et de la remémoration collective, celui de Maurice Papon, qui met en cause par l’intermédiaire d’un de ses hauts responsables, le gouvernement de Vichy, donc la France de 1940 à 1944, dans le processus d’extermination des Juifs, a suscité de violents débats divisant la classe politique et l’opinion. Au terme de ce procès dont le verdict a été rendu le 2 avril 1998, Maurice Papon était condamné à 10 ans de réclusion pour complicité de crime contre l’humanité.

[24] Article d’Adrien BORNSTEIN, La Journée Nationale du 16 juillet, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 4, septembre 1993

[25] Voir en particulier, Primo LEVI, Si c’est un homme, Edition Julliard, Paris, 1958, 214 pp et Les naufragés et les rescapés, Editions du Seuil, Paris, 1986, 200 pp.

[26] Article de Laurette LEVY, Enseignement de l’Histoire de la Shoah, Les Enfants Cachés, Bulletin n° 6, mars 1994

[27] Article de Laurent GREILSALMER, Serge Klarsfeld, Un militant de la mémoire, Le Monde, dimanche 10 et lundi 11 mai 1987

[28] Idem

[29] Serge KLARSFELD, Vichy-Auschwitz, le Rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question juive en France, 1942, Tome I, Editions Fayard, Paris, 1983, 345 pp et Vichy-Auschwitz le Rôle de Vichy dans la Solution Finale de la Question juive en France, 1943-1944, Tome II, Editions Fayard, Paris, 1985, 409 pp.

[30] André KASPI, Les Juifs pendant l’occupation, Editions du Seuil, 1991, 421 pp

[31] Adam RAYSKI, Le Choix des Juifs sous Vichy, entre soumission et résistance, préface de François BEDARIDA, Editions La Découverte, Paris, 1992, 321 pp.

[32] Asher COHEN, Persécutions et Sauvetages, Juifs et Français sous l’occupation et sous Vichy, op. cit.

[33] Renée POZNANSKI, Etre Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Hachette, Paris, 1994, 859 pp

[34] Les enfants cachés ont fait l’objet d’études partielles, leurs itinéraires ont été évoqués à travers les ouvrages concernant une organisation juive ou laïque, la Résistance en général ou à l’occasion d’articles ou encore d’ouvrages rédigés autour d’une compilation de témoignages - par exemple, Sabine ZEITOUN, Ces enfants qu’il fallait sauver, Editions Albin Michel, Paris, 1989, 288 pp.

[35] Extrait du sermon intitulé Ce que survivre impose, prononcé par le rabbin Daniel FAHRI au Yom Hashoah 5757, dimanche 4 mai 1997, Les Enfants Cachés, bulletin n° 19, juin 1997.

[36] L’association des Enfants Cachés a pour président Bernard KANOVITCH. C’est Betty KALUSKI-SAVILLE de l’association qui a initié ce travail tout au long duquel elle a apporté son aide précieuse et ses connaissances. La première rencontre internationale des enfants cachés pendant la Seconde Guerre mondiale s’est tenue les 26 et 27 mai 1991 à l’hôtel Marriott Marquis de New York. Cette réunion a été organisée par plusieurs groupes d’anciens enfants cachés. A l’occasion de cette première rencontre mondiale, le film de Myriam ABRAMOWICZ et Esther OFFENBERG a été diffusé. Aujourd’hui des associations d’anciens enfants cachés existent dans de nombreux pays du monde, elles ont surgi sur les lieux de la Shoah et dans des pays tels que les Etats-Unis, l’Australie ou le Canada où de nombreux anciens enfants cachés orphelins ont émigré dans les années d’après-guerre. L’association française s’est démarquée par sa volonté de recueillir des témoignages et de retrouver des archives.

[37] La Coopération Féminine a été créée en 1966 avec le soutien du Fonds Social Juif Unifié -F.S.J.U.- sur l’initiative d’un mouvement de femmes bénévoles et agit pour la communauté juive en France et en Israël. Les fondatrices de la Coopération Féminine -mouvement exclusivement féminin à l’origine- avaient vécu la guerre et participé au sauvetage des enfants. A la création des Enfants Cachés, après le Congrès de New-York l’association lui a offert son soutien. Les Enfants Cachés ont occupé une partie des locaux de la Coopération Féminine avant d’être installés au Centre de Documentation Juive Contemporaine, 17, rue Geoffroy L’Asnier à Paris.

[38] Voir en annexe la liste des associations d’anciens enfants cachés de la guerre de par le monde.

[39] De fait, la zone dite libre a été beaucoup plus étudiée en ce qui concerne les filières de sauvetage des enfants que la zone occupée.

[40] Épopée de deux enfants dont les parents avaient été déportés sans retour, retenus par des religieux et que Germaine RIBIERE grande résistante restitua à leur tante en 1953.

[41] Voir l’article de Adam RAYSKI p 117, La Guerre est déclarée aux enfants, 16-17 juillet 1942, Journées d’Horreur et de révolte, pp 110-123, in Sauver les Enfants, Le Monde Juif, Revue d’Histoire de la Shoah, 51ème année, n° 155, septembre-décembre 1995, Centre de Documentation Juive Contemporaine, Paris, 265 pp

[42] Betty KALUSKI-SAVILLE a découvert l’existence de cette maison d’enfants -sur laquelle devait porter exclusivement ce mémoire- à travers un article de la rubrique nécrologique du Monde où il était indiqué que la fondatrice de la maison, Yvonne HAGNAUER, avait reçu la médaille des Justes. Cet article l’incite à prendre contact avec Gisèle DEBAIN, détentrice des archives qui ont depuis été déposées au C.D.J.C.

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