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À propos des totems à la Maison de Sèvres…

Un de nos Anciens s'est demandé comment il se faisait qu'à la Maison, les enfants ne connussent les adultes — à de rares exceptions près — que par un totem. D'où par exemple la difficulté a retrouver un ancien professeur… faute de connaître son nom civil.

Mme Lucile Hubschmann, qui habitait Sèvres et s'est intéressée à l'histoire locale, s'est penchée à ce titre sur l'histoire de la Maison. Elle donne une première version (voir son texte "La Maison des Enfants de Sèvres" ) :

À partir de 1942, les enfants juifs sont nombreux à Sèvres. Ils représenteront en 1943 les deux tiers de la centaine d’enfants de la Maison. A leur arrivée, rien ne leur est demandé. Ils sont simplement accueillis. Leur ancienne carte d’identité blanchie, ils reçoivent une identité à consonance française, et pour plus de sécurité ils porteront un totem selon la mode scout. Il en sera de même pour tous ceux qui vivent dans la Maison et dont la plupart (enseignants, éducateurs et personnel) pour des raisons diverses doivent eux aussi se soustraire aux lois de Vichy. Ainsi, Yvonne sera Goéland, son mari Pingouin, Marcel Mangel sera Marcel Marceau (le mime). Dans les couloirs Fauvette croisera Musaraigne, Croc Blanc, Gazelle, Sauterelle, Blaireau, Fauvette, Kangourou, Libellule, et bien d’autres encore aux noms évocateurs de la nature !

Elle a raison, la lointaine origine est scoute ! Mais que de différences et quel long parcours cette pratique a suivis !

a) Contrairement à ce qu'elle pensait, les enfants n'ont pas eu de totems à Sèvres.

b) Seul le personnel éducatif avait un totem — et par contre, les autres personnes conservaient leur identité civile, parfois réduite à leur prénom : M.Gambau, l'économe, Mme Louise notre cuisinière, etc. .

c) L'inspiration est pédagogique et remonte au début du siècle dernier.

Cette idée du totem est passée du scoutisme à l'encadrement d'autres mouvements de jeunesse (tels les "Faucons rouges" ou "Mouvement de l'enfance ouvrière") dans les années vingt et trente, sous l'influence du courant d'idées en faveur de "l'éducation nouvelle". Cela a été repris par les Centres d'Entrainement aux Méthodes de Pédagogie Active devenus les C.E.M.E.A. après 1945 — mouvement de formation de personnels d'encadrement des colonies de vacances, mais aussi de nombreux autres secteurs éducatifs —.

L'idée était simplement de rendre plus familière la relation entre l'enseignant et l'enfant. Le totem était souvent accompagné du tutoiement réciproque.

Contrairement au scoutisme, il n'y avait pas de caractéristique associée au totem (du genre "castor tenace", ou "cigale courageuse"… etc.).

On peut entendre Marcel Marceau évoquer en 2005 son totem de Kangourou, à Sèvres, mais comme il fut aussi Éclaireur de France en 43-44, il évoque avec humour… et fierté, son qualificatif "Kangourou génial". À la Maison de Sèvres il n'y eut jamais de qualificatif, simplement les enseignantes et les monitrices étaient appelées Colibri, Akéla, Goëland.

Rappelons que Goëland participa dès les années vingt au mouvement en faveur de l'éducation nouvelle.

Une des conséquences de l'usage des totems fut effectivement, durant la guerre, de rendre plus discrète l'identité de certains adultes. Mais en ce qui concerne les enfants dont le patronyme laissait supposer une origine juive, c'est l'usage de faux papiers et de faux noms qui les protégea.

Août 2008