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Article paru dans "Elle"
du 7 février 1964.

Voir la photo avec Lydia sur le cheval

Un cheval blanc

Dessin d'enfant de la butte du jardin, avec les pruniers et les ruches

Il ya là, devant moi, quinze enfants, prunelles brillantes et doigts impatients. Il y a Dominique, la petite polonaise blonde. Patrice-en-velours-noir, Monique et ses belles tresses Alain-aux-cheveux-roux, Francis, Sonia la silencieuse, Hermann le réfléchi, Joël, Didier, " les-grands ".

Il y a un portail en fer forgé. Une allée pavée. Des arbres. Une maison avec un perron, des lumières et des bruissements d'enfants : c'est ici, la Maison de Sèvres, à Meudon, un internat patronné par la Préfecture de la Seine et réservé aux " cas sociaux ". Traduisez : aux enfants dont la situation damiliale est temporairement délicate.

Non, ne vous attendrissez pas. Ici pas de " pension " triste ", mais une famille nombreuse où les enfants, étrange paradoxe, m'ont paru plus épanouis, plus éveillés qu'ailleurs.

Nous y faisons notre troisième réunion d'enfants (voir Elle n° 939 et 942) pour leur poser la question rituelle :

— " Si tout était possible, que désireriez-vous le plus ? ".

C'est Lydia, 6 ans, une adorable Guadeloupéenne à la peau café-au-lait qui parle la première :

— " Moi, je voudrais faire la lessive toute la journée, avec plein, plein de belle mousse blanche ".

Et à la question :

— " Y-a-t-il quelque chose de défendu que vous aimeriez faire ? ",

Lydia crie :

— " Me salir dans la cour. Jusqu'à ce que je devienne toute noire ! ".

Et puis, tout à coup, Lydia, entre deux sourires étincelants, a une grande inspiration :

— " Mais ce que je voudrais le plus, c'est monter sur un cheval blanc ! ".

Et tous, se passionnent :

— " Oh oui, un cheval, un cheval ! On voudrait un cheval ! ".

Alors, plus besoin de questions…

Le dimanche suivant, nous sommes revenus avec un merveilleux cheval blanc, loué pour l'après-midi (et, vous savez, les chevaux blancs, vraiment blancs, c'est rare !). Tout la maisonnée est sortie sur le perron, excitée et bavarde.

Alors on a hissé Lydia sur le dos du cheval, et, tout à coup, il y a eu un grand silence stupéfait. C'était vraiment un rêve réalisé mais avec une dimension inconnue.

Il y avait là un cheval de cinéma, avec sur son dos, droite et fière comme une jeune princesse, une petite fille dorée, fruitée et heureuse venue de je ne sais quelle légende.

Denise Dubois-Jallais

Photos de Frank Horvat


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