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Article paru dans "Le Figaro" n° 597 de juillet 1946,
d'après les micro-fiches de la BNF consultables
à la Bibliothèque Publique d'Information (Beaubourg).

MÉTHODES ACTIVES D'ENSEIGNEMENT

La République d'enfants de Sèvres proclame

 « Nous avons choisi la séparation des pouvoirs ! »

Je suis arrivé sur le territoire de la République au moment de la séance des marionnettes. Des petites filles et des petits garçons de six à huit ans se haussaient sur la pointe des pieds derrière le décor traditionnel et animaient de leurs bras tendus de petites poupées confectionnées dans les ateliers de la République.

Ils racontaient l'histoire de Baba Yaga d'après un thème fourni par l'institutrice. Je les écoutais, caché derrière la toile de fond ; une petite fille soufflait les variantes : à chaque séance l'histoire se grossit et se déforme suivant l'imagination du conteur, au plaisir toujours renouvelé de l'auditoire…

Mademoiselle la Présidente

C'est une vraie République d'enfants.

Ce n'en reste pas moins une école, une école au milieu d'un grand parc, sur la colline de Sèvres. L' " Entraide Française " y a recueilli une centaine d'enfants des deux sexes de tous les âges. Les plus petits apprennent à lire, les plus grands préparent le brevet élémentaire. Le programme des études est celui de toutes les écoles. Les institutrices sont membres de l'enseignement public. Mais les enfants y sont chez eux.

Sur un tableau mural, une inscription " An II de notre République ". Et, plus bas, au dessous des textes constitutifs de cette société d'enfants, une autre affirmation de principe : « Nous avons choisi la séparation des pouvoirs… »

La présidente du Conseil de la République est une gamine de quatorze ans : Geneviève Lemoine. Elle est entourée de commissaires comme en U.R.S.S. et de conseillers comme la reine d'Angleterre. Il y a également un Tribunal et une Cour suprême, qui se réunit dit le règlement, " dans les cas d'extrême gravité ".

L'étude sur le tas

L'intérêt de ces méthodes, m'explique l'institutrice chargée des grandes classes consiste à organiser les études autour d'un centre d'intérêt. Aucune connaissance purement livresque. L'enfant découvre plutôt qu'il n'apprend.

J'avise deux enfants, un garçon et une fille, assis devant une petite table. Ils lisent le même livre : " Le roman de la momie " de Théophile Gautier. Autour d'eux, des maquettes et des peintures représentant le temple de Louqsor, la maison égyptienne reconstituée, des esclaves au travail.

Ils font partie de l'équipe historique penchée sur la civilisation égyptienne. Ils sont âgés chacun d'un peu plus de onze ans. Pour savoir ce qu'est la civilisation égyptienne, ils sont allés au musée du Louvre, ils ont faits des recherches, ils ont réalisé ces maquettes et ces peintures avec des camarades plus âgés et avec le concours de leurs institutrices. S'ils étudient demain la fabrication du gaz ou la production de l'électricité, ils se rendront dans une usine ou une centrale à gaz la…te…s (illisible). C'est se qu'on appelle les méthodes actives d'enseignement.

La classe n'a plus l'aspect d'une salle d'études mais d'une salle de conférences qui tient aussi de salon pour enfants. Le dortoir n'existe plus, il est remplacé par des chambres que partagent quatre filles ou quatre garçons. La discipline est une affaire d'Etat : il y a un responsable aux chambres, un responsable aux ateliers (car le travail manuel a une grande part dans le programme scolaire), et même un responsable aux tartines !… Tout se règle dans les conseils régulièrement élus de la République. Quant il le faut, le tribunal intervient.

Michel P. Hamelet

(suite page 3, col. 8)

MÉTHODES ACTIVES D'ENSEIGNEMENT

(suite de la première page)

La "fameuse Jeanne d'Arc"

J'ai écouté deux petites filles de treize à quatorze ans expliquer à leurs camarades le résultat d'une enquête à laquelle elles venaient de se livrer sur le " rôle de la femme dans le monde ". Elles étaient allées frapper à la porte de deux féministes notoires et avaient posé leurs questions soigneusement préparées :
Nous avons appris, expliquaient-elles, qu'il y a dans l'Histoire de grandes femmes : Christine de Pisan, Jeanne hachette, la fameuse Jeanne d'Arc…

Avec un naturel et un bon sens jamais en défaut, elles exposaient le problème de la conquête des droits politiques de la femme portant au passage des jugements qui dépassaient leur âge. Les méthodes actives de la petite République d'enfants de Sèvres étaient tout entières illustrées par l'exposé de ces enfants assises tranquillement derrière leur table de conférencière et qui concluaient avecle plus grand sérieux : « C'est ainsi que nous les femmes, nous sommes émancipées à travers les siècles. »

Ce qui, par bonheur, ne les empêchait pas de retourner ensuite à leurs poupées.

Michel-P. Hamelet,

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