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Avant le congrès du S. N. des Instituteurs : l'Internationalisme ouvrier renait

par Roger Hagnauer (n° 30 du Monde Libertaire, juillet 1957)

Le Monde Libertaire La Révolution Prolétarienne

LE SYNDICALISME DES INSTITUTEURS CONTRE LES ÉLECTIONS ARTIFICIELLES

Est-il utile de parler encore de l'Enseignement à nos amis libertaires ? Il est certainement des problèmes plus urgents… de ceux que l'on pense résoudre par le bulletin de vote ou par l'abstention électorale, par l'agitation et la propagande ou par l'insurrection armée, par le planisme étatiste ou par la revendication et la grève…

Nos débats prouvent que sur les solutions proposées ou imposées, localisées dans le temps et l'espace, relatives aux crises du monde en 1962, nous pouvons difficilement nous accorder entre syndicalistes et libertaires, entre révolutionnaires. Si gênante qu'elle soit pour l'action, cette diversité est salutaire en esprit. Le pire, c'est le monolithisme, qu'il soit artificiellement fabriqué par un parti totalitaire ou naturellement réclamé par ses militants soucieux d'efficacité. C'est l'exclusivisme du combattant.

Tout est compromis si les révolutionnaires, engagés dans les batailles d'aujourd'hui, concentrent toutes leurs forces sur le doigt tendu à la gâchette du fusil, si leur esprit ne saute pas par dessus les barricades ou les tranchées, non pour prévoir un lendemain certain, où l'on devra retrouver intact ce pour quoi on combat aujourd'hui.

La Révolution sans doute… mais surtout la post-Révolution dépendront essentiellement d'hommes qui ne soient des combattants que par nécessité provisoire. Aucune doctrine, aucune idéologie, n'apporte de garanties à ce sujet. Les tendances éducatives actuelles restent donc pour moi le critère le plus sûr pour la qualification libertaire. Former des hommes qui soient des intrus dans le monde d'aujourd'hui, capables de dépasser les partis-pris d'aujourd'hui - préparer l'ensemble des travailleurs à entendre et comprendre de tels « meneurs »… - c'est la mission fondamentale des militants libertaires. Et ce n'est pas par hasard que les plus utiles rénovateurs de la pédagogie furent des militants se réclamant de l'Anarchie… tels James Guillaume, Paul Robin, Francisco Ferrer.

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Ma mauvaise écriture et peut-être la lourdeur de mon style excusent sans doute les copains typos qui ont prodigué les coquilles dans mon dernier article du M. L. . Je voudrais les en remercier. Car les rectifications me permettront d'éclairer l'essentiel.

Il faut d'abord rétablir le texte exact de ma phrase sur l'École unique (2ème colonne, 2ème paragraphe) : « L'École unique, mine d'études pour les réformateurs de l'Enseignement les plus qualifiés - slogan de propagande électorale pour les politiciens de gauche - ne se conçoit que par une parfaite égalisation des chances à la base ».

C'est-à-dire qu'il faut qu'à tous les stades de l'enfance et de la formation… jusqu'au tournant décisif, tous les enfants sans aucune exception, placés exactement dans les mêmes conditions matérielles et morales, gardent la possibilité d'un choix déterminé par leur vocation et leurs aptitudes.

Il paraît qu'actuellement, cette formule est trop simple pour n'être pas utopique. Rien à faire, disent des révolutionnaires « conséquents », avant la Révolution qui abolira les classes sociales. À ce moment-là, on utilisera… l'élite… c'est-à-dire, les « révolutionnaires professionnels »… servis par les mandarins et les technocrates de l'Ancien régime. Et une nouvelle classe se constituera jouissant de privilèges bientôt héréditaires !

Les syndicalistes doivent au contraire s'inspirer de la formule pour réaliser au maximum cette « égalisation des chances ».

Et d'abord, ils doivent réclamer que l'on fixe l'âge du tournant décisif… non selon les nécessités des programmes et les intérêts des enseignants… mais selon les lois de la biologie. J'affirme ici, avec la brutalité d'une certitude définitive, que déterminer l'orientation d'un petit d'homme avant l'âge de la puberté, avant les troubles de de l'adolescence, c'est à la fois une insulte à la science, et la démonstration la plus éclatante de lo'asservissement de l'enfant, du mépris de l'homme futur dans l'enfant d'aujourd'hui.

Je rétablis encore la phrase qui termine le 5ème paragraphe de la 3ème colonne : « Et la véritable sélection ne s'opère pas selon des normes arbitraires, des observations localisées dans le temps où rien n'est encore formé, des critères archaïques, des privilèges sociaux. »

Tant pis si ma phrase blesse les éloquents défenseurs de l'enseignement secondaire : ceux qui réduisent l'humanisme à la compilation de phrases grecques ou latines - ceux qui ne veulent pas d'un lycée pour les pauvres (le collège d'enseignement général)… tout simplement parce qu'ils ne jugent pas les pauvres dignes du lycée… ) et naturellement les post-staliniens, les seuls avec les réactionnaires, logiques dans leur hostilité à toute éducation efficace qui les priverait de leurs victimes et de leurs dupes.

Il est facile, comme Dhombres, le secrétaire du Syndicat autonome du Secondaire, de laisser tomber quelques phrases condescendantes et dédaigneuses sur l'insuffisance des instituteurs. Rappelons simplement - sans insister ici - que des maîtres éminents de la Sorbonne, tels Camille Bouglé, Albert Mathiez, Ferdinand Brunot, Daniel, se réjouissent de la présence à leurs cours d'étudiants primaires qui « digéraient les connaissances, avalées avec appétit ».

Est-il difficile d'accepter une vérité cependant évidente et fondamentale ? : que la manière d'enseigner est plus importante que la matière enseignée. L'initiation par l'activité réclame des qualités et des talents qui ne se mesurent pas au nombre de diplômes universitaires.

S'il est par exemple une discipline qui semble éloigner les professeurs des réalités concrètes et pratiques, que les instituteurs ne sauraient dépasser, c'est bien l'enseignement des mathématiques. Et cependant d'éminents mathématiciens n'ont pas dédaigné la collaboration directe avec les plus humbles artisans primaires.

G. A. Laisant, un des maîtres de la science, nous avait offert ai début du siècle, son admirable « Initiation mathématique ». Maurice Weber, examinateur à la Polytechnique, un des pionniers de l'éducation nouvelle (connu aussi comme pacifiste intransigeant), décelait dans la pédagogie des écoles maternelles « le germe d'un humanisme nouveau ». Et le 21 juin à la Maison de Sèvres, notre camarade Gilbert Walusinsky - président de la Société des Professeurs de mathématique - anime un débat consacré à une « expérience de « calcul » menée de la classe maternelle au cours élémentaire ».

De telles références, la valeur des études pédagogiques et sociales menées dans les sections départementales, autorisent le Syndicat National des Instituteurs à se libérer de tout complexe d'infériorité. En défendant la qualification des collèges d'enseignement général tout en s'opposant au « particularisme des catégories » ; en maintenant la formule d'un cycle d'orientation s'étendant jusqu'à l'âge de l'adolescence, en affirmant la compétence des éducateurs primaires pendant toute la scolarité obligatoire, la majorité du Syndicat autonome reste dans la ligne fondamentale du syndicalisme universitaire.

Un ancien, comme moi, peut exprimer sa confiance aux cadets qui nous continuent, en nous dépassant.


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