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L'unité syndicale est-elle possible, désirable et salutaire ?

par Roger Hagnauer (n° 35 du Monde Libertaire, février 1958)

Le Monde Libertaire La Révolution Prolétarienne

Sur l'initiative de Denis Forestier (du Syndicat autonome des instituteurs), de Roger Lapeyre (de la Fédération FO des travaux publics), d'Aimé Pastre (des services pénitentiaires CGT)... la campagne pour l'unité syndicale s'engage. Est-elle opportune ? Sera-t-elle efficace ? Avant d'en débattre, ne faut-il pas s'interroger sur le principe ?

Voici en effet Hébert, l'un des militants les moins conformistes de FO, qui accroche sur le panonceau l'étiquette « Mythe fasciste ». Et Monatte, le plus authentique représentant du syndicalisme de 1906, juge « mirobolante » l'interprétation de Hébert.

Certes, Monatte a raison. Le fascisme ne peut être apparenté à l'unité syndicale. IL brise au contraire la solidarité de la classe ouvrière... au nom de la nation, de la race... ou de l'État tout simplement. Mais tout régime totalitaire exige des groupements ouvriers uniques et obligatoires. Pour le Front du travail d'Hitler, les corporations de Mussolini ou de Franco, les syndicats de Staline, de Khrouchtchev, de Tito et de quelques dictateurs d'Afrique, d'Asie, ou d'Amérique du Sud... le monopole de l'institution d'État n'a pas d'autre objet que de militariser la classe ouvrière, de prévenir toute opposition, toute lutte revendicative, de faciliter l'exploitation, de renforcer l'oppression.

Hébert peut se justifier par un autre phénomène historique, plus proche de nous.

On a connu en France, en 1945, une tendance au monopole syndical attribué à la CGT stalinisée. La mobilisation des cadres syndicaux au service de la politique russe provoqua la scission de 1948. Mais, auparavant, les contraintes parfois violentes, souvent physiquement impératives, frappèrent de 1944 à 1948 les ouvriers, les employés simplement soupçonnés d'activités ou d'intentions hérétiques. Le monopole syndical impliquait le monopole de l'embauche (par exemple chez les dockers et dans les entreprises nationalisées). Et le travailleur rejeté ou licencié était privé de tout moyen de défense. L'épuration avait permis, par d'abusives assimilations ou des procès arbitraires et iniques, d'exclure des syndicats les « non récupérables » à qui on refusait ensuite tout travail parce qu'ils n'étaient pas syndiqués. Et nous ne parlons pas de l'action des cadres staliniens dans les administrations et les services publics.

La CFTC bénéficia normalement de la révolte contre le monopole syndical. Les plus résolus et les plus courageux opposants sortirent de la CGT pour fonder d'abord la CNT, puis les syndicats autonomes dont l'exemple et le rayonnement ne furent pas des facteurs négligeables dans la scission libératrice de 1948.

Hébert aurait donc raison d'apparenter ce système au fascisme. Mais il aurait tort d'interpréter comme une conséquence de l'unité syndicale ce qui au contraire justifiait le pluralisme syndical et la scission confédérale.

Que l'on ne juge pas l'unité syndicale à travers d'euphoriques brumes.

Les travailleurs en 1936 et en 1944 furent victimes d'une gigantesque duperie. Ils ne profitèrent pas de la victoire électorale du Rassemblement populaire ou des secousses de la Libération pour affirmer leur force autonome. Ils rejoignirent la CGT par soumission aux forces politiques. victorieuses - que cette soumission fût alignement volontaire ou résignation plus ou moins consciente.

L'unité syndicale ne peut se concevoir qu'en fonction d'une rupture définitive et clairement formulée avec les appareils politico-syndicaux qui ont colonisé la CGT. Vue de l'esprit ? Plutôt souvenir ou anticipation. C'est spontanément que, en Pologne et en Hongrie, les conseils d'entreprises, représentation directe de la classe ouvrière, ont refusé tout contact avec les « policiers syndicaux » du régime.

En France, les conditions de cette rupture peuvent varier avec les situations locales. Un ouvrier communiste de province peut s'adapter. plus facilement aux règles de la démocratie ouvrière qu'un intellectuel « sympathisant » du café de Flore.

Mais s'il est vrai que l'unité syndicale implique le droit d'opinion et la liberté des tendances... elle commande aussi, par nécessité vitale, de proscrire les consignes baptisées opinions, les fractions militarisées... camouflées en tendances, les adjudants déguisés en militants.

Il n'est pas de formules magiques, pas de résolutions, de manifestes, de statuts qui soient efficaces. L'accord verbal n'a aucune valeur lorsqu'il n'y a pas de langage commun, lorsque les mots alignés ou acceptés par l'une des parties n'expriment aucune pensée sincère.

Ce préalable admis, il est deux autres conditions essentielles.

L'unité syndicale exprime l'unité spontanée de la classe ouvrière.

L'adhésion syndicale ne doit donc dépendre ni d'une doctrine ni d'un programme - simplement de la situation des salariés et de la volonté des salariés de défendre leurs intérêts par leurs propres efforts.

De la base au sommet confédéral, la solidarité de classe s'affirme sur le plan local et sur le plan industriel. Les fonctionnaires syndicalistes ont-ils pesé toutes les charges que cette solidarité impose et sont-ils disposés à se lier aux ouvriers dans des unions intersyndicales, locales et départementales... libérées des corsets politiques  ?

Enfm l'unité de classe se réalise parfaitement dans des organisations de type trade-unioniste.

Mais lorsque celles-ci s'accrochent à l'État, elles sacrifient trop souvent à la sécurité légalisée, la liberté d'initiative ouvrière. La création de la Centrale syndicaliste libertaire de Suède se justifie par la résistance à l'intégration étatiste. Ce n'est pas leur exemple que nos amis nous proposent. C'est une expérience dont la valeur ne se mesure pas à des rapports numériques.

RUPTURE AVEC LES APPAREILS TOTALITAIRES - SOLIDARITÉ DE CLASSE CONCRÈTE - RÉSISTANCE À L'ORDRE ÉTATISTE… si ces trois idées-forces orientent la propagande pour l'unité, celle-ci annoncera la renaissance du syndicalisme.


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